EXPOSITION
CES JEAN MOULIN 1981
« ALLONS
Z'ENFANTS »
L'école
militaire des Andelys :
un
livre, un film, une exposition.
La
rencontre avec Yves Gibeau.
Le C.E.S. et le L.E.P. Jean Moulin
occupent les anciens bâtiments de l'école militaire préparatoire des Andelys,
fermée depuis 1967 (en réalité en 1968 !). Les élèves ont désiré tout
naturellement savoir qu'elle était cette école militaire et la place qu'elle
occupait dans cette cité.
Avec l'aide de Mme Quemin, directrice du
C.E.S. et de leur professeur-documentaliste M. Pingué, des documents ont été
réunis et ils constitueront la trame de l'exposition.
Une grande aventure déjà, qui devient une
super-aventure, avec la rencontre de l'auteur de Allons Z'Enfants ,
Yves Gibeau.
Le
livre.
Dans son livre interdit dès sa sortie en
1952, dans toutes les casernes de France, Yves Gibeau narre le quotidien d'un
enfant de troupe, Simon Chalumot, incorporé dès ses 15 ans à l'école militaire
des Andelys, par la seule volonté de son père, un adjudant retraité de la
Coloniale. Deux ans aux Andelys d'où il tentera de s'évader, ensuite ce sera
l'Ecole de Tulle avant un service militaire à Saumur, puis à Toul (5 ans), les
5 ans qu'il devait à l'armée.
Nommé brigadier-chef il sera rétrogradé
pour incompétence au commandement. Ce sera la guerre et la mort. Simon
Chalumot, l'insoumis, l'antimilitariste, le soviet à qui on inflige les pires
sévices corporels et moraux.
Simon Chalumot, c'est Gibeau. En 1929, il
est enfant de troupe aux Andelys. Dans la première partie de son livre consacré
à cette école, les andelysiens qui ont connu cette période mettront un nom sur
les visages des gradés, le commandant Félix, le capitaine Des Aubelles,
l'adjudant Pommier, le caporal Fromentel, le sergent-chef Vieillard, et des
professeurs : d'allemand Gaston Mouchetage, le père Parlot, Lagouache.
Ce livre est un véritable réquisitoire
contre l'armée et ces écoles d'enfants soldats.
La
rencontre.
Si nous-mêmes comme les élèves, étions
émus de rencontrer Yves Gibeau, lui ne cachait pas non plus son émotion.
Cinquante ans après, Yves Gibeau
retrouvait le décor dans lequel il a vécu deux ans d'enfer et de souffrances
physiques et morales.
Nous l'avons suivi à travers ses
souvenirs … intacts, certains atténués mais encore bien vivants.
Ces escaliers, combien de fois les ai-je
récurés ? C'est vrai que j'étais de corvée tous les jours. Là c'était mon
dortoir, dans l'autre bâtiment les classes, là-bas, derrière les chiottes, le
réfectoire.
Ces bâtiments de brique, immuables
(ré-ouverts à l'enseignement civil) pour Gibeau ils sont hantés de fantômes.
Devant la glace, celle qui subsiste à l'entrée des bureaux administratifs du
L.E.P., qui abritait auparavant le poste de police Gibeau s'arrête :
« je croyais y voir le petit enfant de troupe au béret plat … je ne vois
qu'un homme vieillissant ».
Mais Yves Gibeau n'a pas vieilli. Il a
gardé les idées de sa jeunesse, un côté anar, une haine de l'injustice, un
homme épris de liberté et surtout qui dégage une profonde humanité.
En voyant les enfants dans la classe,
j'ai eu une pensée triste pour ceux qui restaient à l'internat.
Yves Gibeau a voulu tout revoir, se
replonger dans son passé.
L'un des dortoirs inoccupé, n'a
absolument pas changé. C'était le sien. « Mon lit c'était celui-là. Lepage
était à deux lits plus loin. Le caporal couchait là, pour nous punir, il nous
faisait mettre debout des heures sur le palier non chauffé » et Gibeau
revit la scène, il reprend la même place.
Cette visite, ce pèlerinage a été
doublement intéressant. Yves Gibeau n'était pas seul M. Jaspart actuellement
inspecteur de police aux Andelys, un ancien enfant de troupe des dernières
années de l'école l'accompagnait.
Ensemble ils ont évoqué leur vie dans
cette école, des anecdotes, celle du coiffeur, du briquage des parquets, du
lustrage des boutons de l'uniforme.
Et la discipline ?
Le régime avait évolué plus humain. M.
Jaspart « je n'ai jamais connu de sévices corporels ».
Gibeau : « C'est déjà une bonne
chose ».
On dit même que le régime dans les écoles
militaires a changé après la parution d' Allons Z'Enfants.
Monsieur Jaspart, qui n'a donc pas suivi
la filière de l'armée se souvient que planait dans l'école le mythe Gibeau,
l'insoumis.
Une
grande soirée.
Grâce à l'idée des élèves, les Andelys
connaîtront une grande soirée. Le vendredi 27 mars, Yves Gibeau reviendra pour
l'exposition présentée au CES Jean Moulin. Le sir Yves Boisset sera à ses côtés
pour présenter son film tiré du livre Allons z'enfants au cinéma
des Andelys. C'est l'aventure qui se poursuit.
Les Andelysiens ne manqueront pas d'être
intéressés par ce film et cette exposition qui mettent en scène cette école
militaire qui fut longtemps un élément essentiel de la cité (la musique de
l'école animait toutes les fêtes) et dont ils ont gardé une image fort
différente de celle de M. Gibeau.
Peut être aussi, après la guerre,
l'E.M.P. des Andelys fut-elle différente de ce qu'elle avait pu être autrefois.
Bibliographie.
Yves Gibeau né le 3 janvier 1916 à Bouzy
dans la Marne. Père : adjudant de carrière dans la Coloniale.
Après la guerre chansonnier dans les
cabarets, figurant dans des films. Son premier livre Le Grand Monôme
sort en 1946, récit sur la captivité. Il devient critique de spectacle à Combat
où il rencontre Camus.
En 1951, il écrit Et la fête continue,
en 52 Allons z'enfants, en 54 Le Gros Sous, en 56 La ligne
droite qui obtient la prix de la littérature sportive, en 61 La guerre
c'est la guerre son dernier ouvrage publié.
En 1968, il entre à l'Express comme
réviseur.
L'impartial 1981.
Les malheurs
d'un enfant de troupe.
Il y a trente ans, le roman d'Yves Gibeau
Allons z'enfants fut un succès. Le regard tragique et ironique d'un
enfant de troupe sur la vie militaire, c'était autre chose que du
Courteline ! Pour filmer cette histoire triste, Yves Boisset a pris sa
caméra de choc.
Français (1 h 58) Réal. : Yves
Boisset ; avec Lucas Belvaux, Jean Carmet, Jacques Denis, Jean-François
Stevenin, Jean-Claude Dreyfus, Jean-Pierre Aumont.
Fils d'un adjudant-chef croix de Guerre
de 14-18, un jeune garçon est placé de force, à quinze ans, comme enfant de
troupe dans une école où l'on dispense un enseignement militaire menant à la
carrière de sous-officier. Viscéralement rebelle au métier des armes, fasciné
par la littérature et le cinéma plutôt que par la discipline militaire et
l'exaltation des exploits guerriers, le malheureux devient la tête de turc de
ses camarades, la brebis galeuse des sous-officiers qui tente de casser son
arrogance et de le faire rentrer dans le rang.
Avec une fierté insupportable pour son
entourage, il vit un véritable martyre, résiste, discute, s'entête, tente
d'échapper à ce bagne par la fugue ou le suicide. En vain. Envoyé au front
lorsqu'éclate la Seconde guerre mondiale, il est tué en voulant faire soigner
un soldat allemand gravement blessé.
Adapté d'un livre autobiographique d'Yves
Gibeau, interprété à merveille par un jeune comédien inconnu (Lucas Belvaux)
qui impose son aire de Grand Meaulnes digne, courageux et émouvant, filmé par
un opérateur (Pierre William Glenn) au travail efficace et ultra-professionnel,
Allons z'enfants est le type même de ces films de dénonciation qui ont
choisi la grosse artillerie et la fanfare plutôt que la subtilité et la
délicatesse.
Il y a longtemps qu'Yves Boisset a fait
ce choix : dans ses films, les méchants ont les têtes de méchants et les
gentils se reconnaissent tout de suite. Il s'agit d'être efficace, de souligner
à gros traits les tares et les ignominies dont se rendent coupables ceux qui
n'ont que faire de la liberté d'autrui. Le procédé, dans certains cas, peut
s'avérer payant.
Cette fois, non. Trop, c'est trop. On
barbote dans le pire mélo. Tout ce qui porte un uniforme (militaire, gendarme,
religieuse) fait l'objet d'une charge si outrancière que la crédibilité du
propos disparaît au profit d'une sorte de ciné-guignol.
De L'Attentat à RAS, du Shérif à La Femme
flic, Yves Boisset nous avait habitués, par ailleurs, à s'attaquer aux
vrais sujets brûlants. Tourner un film sur les écoles d'enfants de troupe (il y
a quelques années, Alain Jessua n'avait pu obtenir les autorisations
nécessaires) c'est bien. Mais pourquoi se cantonner aux années 30 ? Il
aurait fallu signifier que ces écoles existent encore aujourd'hui.
Qu'aujourd'hui encore, certaines lectures sont déconseillées dans les
casernes. Qu'en janvier 1980, trois appelés trouvèrent la mort à Nouméa à la
suite d'une marche forcée et d'une accumulation de bavures. Que des comités de
soldats tentent aujourd'hui de revendiquer quelques droits élémentaires, et que
ces tentatives de dialogue sont souvent sanctionnées par des arrêts de rigueur
(1). En a-t-il été empêché ?
Jean-Luc Douin.
(1) Voir Le
Monde du 11 mars 1980. Et signalons
qu'à l'occasion des élections présidentielles, un comité créé sous l'égide de
la Ligue des Droits de l'Homme fait actuellement circuler des cartes
postales-pétitions afin de revendiquer, entre autres, la liberté d'expression
des soldats.
Ouverts
à tous.
Avant 1884, on les appelait enfants de
troupe seulement parce qu'ils suivaient les régiments en campagne … Pour
former intellectuellement les petits soldats, six écoles militaires furent
créées, réservées aux pupilles de la nation et enfants de sous-officiers …
Depuis 1974, il reste trois collèges
militaires d'enseignement (Le Mans, Aix-en-Provence, Autun). On y pratique
depuis la seconde ou de la troisième la même formation que dans chaque lycée de
France. Tout fils de citoyen français, sans discrimination, peut y être admis
sur concours. Ils sont actuellement 1800. Financièrement, l'adolescent est pris
complètement en charge par l'État. Il fait normalement carrière dans l'armée,
ou rembourse ses études.
Selon les autorités militaires, les
établissements actuels ressemblent aussi peu à ceux dépeints par Yves Gibeau
qu'un lycée d'aujourd'hui à un lycée de 1927. Le costume a changé : blazer
bleu et pantalon gris, comme dans les pensionnats anglais …. Une formation
militaire minimale est cependant obligatoire en classe de terminale.
Fabienne Pascaud.
YVES
GIBEAU
L'école
des armes et des larmes.
A soixante-cinq ans, non seulement Yves
Gibeau n'a rien oublié de son enfance mais c'est celle-ci qui n'en finit pas de
se rappeler à lui. Il croyait pourtant bien en avoir fini avec Allons
z'enfants (Edition Calmann-Levy). Il n'espérait plus rien de ce roman,
best-seller il y aura bientôt trente ans, aujourd'hui édité en poche. Jamais il
n'aurait espéré une adaptation cinématographique et, visiblement, il est
content de celle qu'a réalisée Yves Boisset.
« Ce roman est toujours interdit dans
les casernes françaises et, à l'époque de sa parution, Etienne lalou, qui en
avait parlé à la radio, s'était vu privé d'antenne pendant un mois. Dans ces
conditions, une adaptation cinématographique me semblait totalement impossible.
Et, dès les premières images mon enfance m'a rattrapé … ».
Pourtant, le spectateur, qui n'a pas les
mêmes raisons que Gibeau d'être ému par ces premières images, est frappé par le
comportement outrancier des adultes, en l'occurrence des militaires, qu'ils
soient officiers ou sous-officiers. La réaction de Gibeau est sans ambiguïté.
Il me montre de vieilles photos prises aux Andelys et à Tulle au début des
années trente.
« Regardez-les de près. Celui-ci,
c'est Thibaudeau, je lui ai gardé son nom. Yves Boisset l'a amélioré. C'est
avec lui, comme avec Schaeffer, que j'ai découvert ce qu'on pourrait appeler le
sadisme quotidien. Voilà des hommes qui, comme tout le monde, avaient en
eux un embryon de sadisme et ils ont trouvé le métier qui leur permettait de
faire fructifier cet embryon ».
Cet homme, qui est la douceur même, en
deviendrait presque véhément : la blessure, ouverte il y a un demi-siècle,
ne s'est pas encore cicatrisée. Les Andelys, Tulle, La Boissière, Autun …
Autant de noms qui, pour Gibeau, marquent les bornes d'un univers de
déshumanisation.
« Il y avait sept ou huit écoles
avant-guerre. Il doit en rester deux ou trois, je crois. Un jour je suis allé
en pèlerinage à Tulle. Sans me présenter, j'ai demandé à pénétrer dans
l'enceinte de l'école en qualité d'ancien enfant de troupe. Rien n'avait
changé. En sortant, je me suis nommé. J'ai pu voir le visage du sous-officier
de garde que j'étais tristement célèbre. Mais quand je suis remonté en voiture,
il s'est approché et m'a dit à mi-voix : « Moi non plus, je n'aime
pas l'armée ». Et comme pour se dédouaner : « D'ailleurs,
je vais entrer dans la police ... ».
Les conditions, aujourd'hui, ont-elles
changé ?
Je ne sais pas, je n'ai pas fait
d'enquête précise sur la question mais le problème n'est pas là. Même s'ils ont
la télévision, une salle de réunion ou je ne sais quoi, il n'empêche que
l'essentiel est qu'on engage dix ans de la vie d'un enfant sans qu'il ait son
mot à dire, uniquement pour simplifier la vie des parents. C'est là le scandale
… Quelques uns aiment cette vie, la plupart s'y résignent … Mais ce sont des
victimes ».
Après être rentré aux Andelys, en octobre
1929, Gibeau ne fut libéré que le 3 janvier 1939. Sept mois plus tard, il est
mobilisé, ce qui le conduit à Dunkerque puis dans les stalags de Prusse orientale,
expérience qu'il a racontée dans Le Grand Monôme (Calmann-Levy). Il fut
rapatrié en novembre 1941 : son éducation militaire aura duré 12
ans. Depuis sa sortie de l'école, il n'a rencontré qu'un seul de ses anciens
condisciples.
« Je n'ai jamais
cherché à les revoir. Je n'en ai rencontré qu'un pendant la guerre, tout à fait
par hasard . Il était sous-lieutenant et je crois qu'il est devenu général.
Quand je l'ai vu, je lui ai dit : « Comment vas-tu ? », il
m'a répondu sur le même ton. Puis il m'a pris à part et m'a dit, très
gêné : « Ca ne te dérangerait pas de me dire
« vous » ? Nos relations se sont arrêtées là... » .
Propos recueillis par Jean Wagner.
Télérama 4 mars 1981.
Yves Gibeau : « Jamais je
n'oublierai le cauchemar de ma vie d'enfant de troupe ».
Depuis le Condé, chaque film
d'Yves Boisset constitue un évènement. Son dernier Allons z'enfants
qui sort le 4 mars prochain aborde un genre nouveau : le film d'époque.
Un film-document sur un sujet mal connu et en tout cas jamais abordé au
cinéma : les enfants de troupe.
Tiré du beau roman autobiographique
d'Yves Gibeau, le film raconte d'une façon poignante et relativement sobre
(l'exception qui confirme la règle) la vie d'un adolescent contraint par son
père à embrasser la carrière militaire.
Né le 3 janvier 1913 à Bouzy, dans la
Marne, d'un père adjudant de carrière, Yves Gibeau, après une rude expérience
militaire, a fait du cabaret, de la figuration avant d'entrer comme
critique de spectacle à Combat puis à Constellation. Correcteur
depuis 1978 à L'Express, Yves Gibeau a écrit, après Allons z'enfants,
quatre autres romans : Et la fête continue en 1953, Les gros
sous en 1954, La ligne droite en 1956 et La guerre c'est la
guerre en 1961.
Tour à tour furibond ou attendri, Yves
Gibeau, 65 ans, à l'oeil limpide, reconnaît un à un ses anciens condisciples,
les enfants de troupe de la compagnie des Andelys dont Yves Boisset raconte
l'histoire dans son nouveau film Allons z'enfants.
Sur la photo sépia, ils se ressemblent
tous tristement : manteau de drap bleu à boutons dorés, galoches, béret
enfoncé sur le crâne, et ce regard éteint, peureux. Ces épaules rentrées, ils
ont l'air de bien pauvres choses.
A regarder la photo jaunie plus d'un
demi-siècle après, il est de nouveau là-bas, Yves Gibeau. La caserne château-fort
dominant la ville, le réfectoire-cloître, la cour boueuse, les paillasses du
dortoir, le froid, la solitude, la brutalité … Tout cela lui remonte au cœur.
« Lorsque j'ai vu pour la première
fois le film qu'a tiré de livre Yves Boisset, c'était pire, explique-t-il.
Heureusement que j'étais seul : car rétrospectivement, de rage, j'ai
pleuré ».
L'élève Chalumeau d' Allons
z'enfants, marchant au pas, le regard fixe, l'enfant qui ne chante pas
assez joyeusement les chansons militaires, l'adolescent envoyé au cachot pour
cause de poésie, n'a toujours pas pardonné d'avoir, à treize ans, été livré par
son père, adjudant-chef et Croix de guerre, à la Patrie. Condamné à l'armée à
perpétuité. Interdit de vie pendant cinq ans.
Nourri de livres héroïques, abreuvé de
souvenirs de guerre glorieux, il était pourtant plutôt content de devenir un
héros, le jeune Gibeau. En rejoignant la Troupe, n'allait-il pas devenir
quelque chose comme un super-scout et défendre quelque grande cause ? Un
mois devait suffire à lui faire entrevoir la réalité.
L'école militaire des enfants de troupe,
ce prytanée pour fils de héros pauvres, était un bagne. Régi par le sifflet et
les vociférations d'adjudants courtelinesques, soumis à la peur et à la force.
Football
pieds nus
« à 6 heures du matin, raconte Yves
Gibeau, et certains d'entre nous avaient moins de dix ans, on avait quelques
minutes pour refaire son paquetage, se laver à l'eau glacée, et au pas de
course rejoindre la cour pour l'inspection. Malheur au retardataire ou à l'oublieux.
Après le café, sans sucre, et le pain, sec, on repartait, toujours au pas de
course, vers les classes. L'après-midi était réservé aux exercices …
obligatoires. Ceux qui ne s'y prêtaient pas de bonne grâce étaient encouragés
par des coups de pied, claques ou coups de fouet ou, pire, des moqueries. Seule
détente, le football, mais il fallait jouer pieds nus … pour ne pas abîmer les
chaussures, lesquelles, comme le reste de l'équipement, devaient durer cinq
ans. Mais le pire, c'était la nuit, poursuit-il, interdit de parler. De lire. A
19 h 30, la lumière s'éteignait. Alors, on entendait des pleurs, des cris.
Il n'était pas question de partir.
D'abord, il aurait fallu rembourser à l'État une somme considérable. Et puis je
crois que mon père m'aurait tué. De honte. Seule parade : se faire
renvoyer ».
Refus de saluer, retards, insolences,
l'élève Gibeau ne ménage pas ses efforts. En vain. L'armée est une grande
famille qui refuse de lâcher ses brebis, même galeuses.
Privé de sorties (il n'a jamais de permission),
condamné perpétuel aux corvées les plus dures, le jeune insoumis – il a alors
quatorze ans – est battu, humilié, mis au cachot.
Punching-ball
humain.
« J'ai connu la méchanceté à l'état
pur, explique Gibeau : il y avait cet adjudant donnant le choix entre le
motif ou la boxe … La boxe, c'était devenir pendant une heure son
punching-ball … Ou ce sergent qui, pendant les matches de rugby, sous prétexte
de fautes, prenait plaisir à coincer l'oreille des malheureux entre le sifflet
et son pouce … Ou celui-ci dont la joie était les fouilles impromptues :
il venait ensuite, moqueur, nous voir en mangeant notre tablette de chocolat
précieusement gardée pendant des mois, ou en lisant à haute voix une lettre
tenue secrète.
Oui, reprend-t-il, j'ai connu aux Andelys
la face noire de l'être humain. J'ai vécu pendant cinq ans sous le régime de la
peur et de la délation ».
Alors, un jour, le costaud Chalum
craque. Lorsqu'on lui a confisqué ses précieux journaux, il décide d'en finir.
Il songe au suicide.
« Jamais depuis je n'ai été aussi
profondément désespéré », confie Gibeau.
Au bout de cinq ans, c'est la liberté.
Seul enfant de troupe de sa compagnie à ne pas se réengager, Gibeau vit enfin …
Pendant six mois. Un essai vers le journalisme, un emploi de commis d'assurance,
et c'est la guerre.
Pourtant, ni le stalag 40 en Prusse où il
est fait prisonnier, et dont il s'échappe en trafiquant des papiers (il permet
ainsi à quatre-vingt-dix personnes de s'évader), ni le travail obligatoire dans
les hauts fourneaux, ni la cruelle course au cachet dans les cabarets parisiens
où il propose ses numéros, ni l'existence misérable à Marseille où il devient
tour à tour caissier de tripot ou employé, rien ne sera jamais comparable aux
Andelys.
« Je reste meurtri à vie, explique
Gibeau, avec un complexe de supérieur à inférieur. Et dire qu'il y a encore
quatre écoles en France qui forment, ou plutôt déforment à vie des
enfants ».
De ce triste passé aux enfants de troupe,
Yves Gibeau garde un besoin de revanche inassouvi :
« Je crois que j'ai écrit Allons
z'enfants pour que les protagonistes se reconnaissent et apprennent que je
m'en suis sorti ».
Mais l'élève Gibeau s'en est-il vraiment
sorti ? Dans la paisible maison de Montmorency où il habite avec sa femme
et sa fille, des casques, des cartouchières, tout un barda militaire est
accroché, inutile et inerte, aux murs. Dérision ? Exorcisme ?
L'ex-enfant de troupe des Andelys n'a, semble-t-il, pas fini d'entendre les
notes stridentes du sifflet.
Paris Normandie Armelle Oger.
Allons
z'enfants
Une
exposition au C.E.S. Jean Moulin
1887 : La gare et l'école
préparatoire militaire sortent de terre. Deux pôles d'attraction de notre
petite ville.
Remarques : Si l'Ecole militaire
préparatoire est sortie de terre à partir de 1885 pour ouvrir en 1887, la gare
ne sera ouverte qu'en 1896 .....
1968 : L'école d'enfants de troupe
ferme ses portes. Cette année là, elle sera la seule en France dont les élèves
en uniforme inviteront leurs camarades civils à être en grève.
La gare n'est plus la gare depuis
l'après-guerre, devenant le café de la gare.
L'école préparatoire n'est plus
militaire, la cité scolaire Jean Moulin, le C.E.S. et le L.E.P. Ont pris
possession de ses anciens locaux.
1952 : Yves Gibeau, un ancien de
l'école des Andelys des années 1929-30, publie son livre Allons z'enfants.
1981 : Les élèves du C.E.S. lisent
ce livre : les film d'Yves Boisset sort sur les écrans.
Ces quatre dates trouvent leur
aboutissement dans une exposition réalisée par les élèves de 5ème du C.E.S.
Jean Moulin, présentée jusqu'au 30 avril au foyer socio-éducatif.
Une exposition remarquable qui retrace la
vie des élèves dans cette école militaire à travers les passages du livre de
Gibeau, des souvenirs d'anciens enfants de troupe et de nombreux documents
réunis par les soins du documentaliste, des professeurs et de Mme Quemin,
directrice du C.E.S. dont nous avons fait réellement la connaissance et qui est
une femme débordante de dynamisme.
Cette exposition a réveillé des souvenirs
encore frais pour certains, atténués pour d'autres, amers ou agréables.
Au centre tout de même, le débat toujours
aussi passionné pour les uns et les autres ouverts dès la sortie du livre
d'Yves Gibeau.
Le film de Boisset, où les images sont à
la fois tendres et, est aussi contesté quoique sa qualité soit elle
incontestable.
L'exposition inaugurée en présence d'Yves
Gibeau et d'Yves Boisset ainsi que la soirée exceptionnelle avec cinéma, nous
les devons aux élèves de 5ème Malgré la présence de
l'auteur, du réalisateur et du jeune comédien Lucas Delvaux, peu de personnes
s'étaient déplacées.
Le débat qui a suivi la projection du
film n'aura eu de controverse. C'est peut être dommage. Si certains ont exprimé
en coulisse leur désapprobation pourquoi ne l'ont-ils pas affirmé au grand jour
et rétabli comme ils disent la vérité, leur vérité.
On comprend que les anciens andelysiens
soient attachés à leur école militaire. Ont-ils cru que Gibeau ou Boisset
détruisaient leurs souvenirs dont le plus vivace est celui des défilés de la
fanfare de l'école lors des manifestations patriotiques ….
Nous conseillons à tous de visiter
l'exposition réalisée au C.E.S. Jean Moulin.
L'Impartial 1981.
Allons
z'enfants
….
militaires de 15 ans
La vie d'un enfant de troupe
pendant quelques années de son adolescence, sert de prétexte à Yves Boisset
pour prolonger les idées déjà exprimées dans un film précédent RAS. Dire
qu'il s'agit dans les deux cas d'un réquisitoire antimilitariste serait trop
simplifier les idées du réalisateur. Il semble qu'en dénonçant les excès de
l'éducation militaire, Yves Boisset pense surtout à la dignité que mérite tout
être humain. Ce qu'il dénonce c'est que trop longtemps cette éducation se soit
bornée à essayer de transformer les recrues en robots et cela souvent par des
méthodes aboutissant à la soumission et à l'humiliation. On commence seulement
à constater que le bon soldat n'est pas forcement un esclave et que sa conduite
peut avoir de plus nobles motivations que celles de la peur et de la
discipline.
Quand il lu le roman partiellement
auto-biographique de Yves Gibeau Allons z'enfants (dont l'éditeur
Calmann-Levy fait une réédition) Yves Boisset s'indigna que l'on puisse
préparer des enfants à une carrière militaire dès le plus jeune âge. C'est
pourtant le cas des enfants de troupe. On va suivre la vie de l'un
d'entre eux, Simon Chalumeau, qui a connu la vie de caserne, avec ses
contraintes, ses corvées, sa discipline impitoyable à 13 ans, âge où les autres
enfants vivent en liberté. Tout cela parce que son père, ancien adjudant, décoré
au chemin des Dames et au Tonkin, veut que son fils devienne officier.
Moyennant quoi il a vendu la jeunesse de celui-ci à l'armée. Car ses études
terminées, Simon devra rembourser l'armée en signant une engagement de quatre
ans. Or, Simon, intelligent, sensible, n'aime pas cette vie militaire dont il
ne voulait pas. Ce qui va le conduire à devenir un révolté et, aux yeux de ses
chefs, un dangereux anarchiste. C'est par un défi permanent lancé à ses
éducateurs qu'il conserve sa fierté, mais il le paye chèrement.
La guerre de 39 éclate, Simon y trouvera
la mort dans les premiers jours en portant secours à un blessé allemand. Un
discours patriotique sera prononcé sur sa tombe. Après en avoir fait un
militaire malgré lui, l'armée fait de lui un héros malgré lui.
Yves Boisset, suivant en cela Yves
Gibeau, a fort bien réussi l'analyse psychologique de son jeune personnage qui,
au lieu de se laisser briser par les épreuves qu'on lui inflige, en nourrit sa
révolte. La vie à la caserne, les rapports avec ses parents sont décrits avec
réalisme et parfois avec brutalité, mais sans violence ni émotions inutiles.
Pas ou très peu de discours politiques ou moraux non plus. Yves Boisset laisse
les situations parler d'elles-mêmes. Et comme il sait à merveille planter un décor
et créer une ambiance, son film devrait toucher et faire réfléchir des millions
de spectateurs car c'est aussi un grand film populaire. Les plus patriotes ne
devraient pas être choqués. Ce n'est pas l'existence de l'armée que l'on remet
en question, mais la façon absurde et dégradante dont on fabrique les soldats.
Un jeune comédien inconnu va devenir
célèbre avec le personnage de Simon. Il s'appelle Lucas Belvaux ; il
possède le charme, la sensibilité, la puissance intérieure sobre qui
caractérisent les grands comédiens. Dans le rôle de son père, Jean Carmet qui,
pour Boisset fut Dupont la Joie, s'est mis dans la peau de l'adjudant de
réserve, obtus qui aime plus l'armée que son fils. Et d'autres comédiens
composent une troupe importante pour interpréter les autres personnages dont
aucun n'est sacrifié, même les plus secondaires.
Ajoutons aussi que, alors que dans
beaucoup de films les reconstitutions d'époque ont quelque chose d'artificiel,
on se croit ici vraiment revenus aux années 37-40
Un
livre, un film : Allons z'enfants
réunit
Yves Gibeau et Yves Boisset dans
l'univers
clos de l'ancienne école militaire.
L'air désabusé de celui qui n'a jamais
compris, après un demi siècle de recul, comment des parents peuvent plonger
leurs enfants de 12 ans et quelques fois moins, dans cet univers clos de
l'école des enfants de troupe des Andelys …. où Yves Gibeau, cet homme qui a
vécu ce calvaire des années 30, n'a pas oublié cette adolescence brisée
par manque de liberté. Il en parle dans son livre Allons z 'enfants
rédigé en 1952. Il en parle encore aujourd'hui dans la cour de cette caserne
devenue collège d'enseignement général, lors d'un pèlerinage en grande pompe,
pour une exposition non-stop réalisée par les élèves de 5ème sous la houlette de Mme Quentin, directrice.
Dans la cour, Yves Gibeau, entouré de
nombreux amis, curieux et fidèles lecteurs, écoutent les airs militaires. Il se
replonge dans cette atmosphère des heures sombres . Le chef de
musique, M. Caronnet, ancien de la Garde républicaine, s'y entend bien dans la
musique militaire. Puis, remontant les allées, nonchalamment, comme jadis en
marchant au pas, le crâne rasé et sous l'uniforme dégradant de cette jeunesse
volée. Avant de pénétrer dans un des bâtiments qui n'a plus rien de commun avec
ceux de l'école militaire, Yves Gibeau s'arrête devant la stèle du monument aux
morts. Là, c'est la visite de l'expo où de nombreuses photos familières à
Gibeau sont une raison supplémentaire d'évoquer des souvenirs.
Là encore, cet anti-militariste
non-violent s'insurge. Il parle des enfants de troupe comme Emile Zola parlait
des enfants travaillant dans les mines. Il y a d'ailleurs des points communs
entre les deux hommes. L'auteur d'Allons z'enfants répondra à de
nombreuses questions et rétablira la vérité sur certaines controverses. A
savoir qu'en 1929 notamment, aucun examen d'entrée à l'école militaire ne
sanctionnait les futurs enfants de troupe, seul le certificat d'étude était
exigé. Ceci pour répondre à cette question choc : comment peut-on embrigader
un jeune dans cet univers, contre son gré ? Et à ceux qui comme Gibeau
étaient des anciens de l'école d'enfants de troupe des Andelys, déclarant
n'avoir jamais été maltraité, il répondait simplement : « Vous acceptez cette vie militaire,
vous n'êtes pas là contre votre gré …. Voilà toute la différence ! ».
En parcourant cette exposition les
visiteurs se sont fait une petite idée de la vie derrière les grands murs gris
de cette école.
Le soir, les Andelysiens ont fait une
autre rencontre, celle d'Yves Boisset, metteur en scène d'un film tiré du livre
de Gibeau Alllons z'enfants. et nous voici au début du siècle où les
malheurs de l'enfant de troupe Chalumeau viennent bouleverser la bonne
conscience de la connerie humaine. Boisset, le lecteur de 17 ans, avait été
bouleversé par le livre d'Yves Gibeau. Depuis lui qui ne pensait jamais devenir
cinéaste, ne rêvait plus que d'une chose : mettre Allons z'enfants
en images. Le résultat est bon, le film accroche par sa sincérité et l'histoire
bouleverse. Après la projection du film, au Cinéma-Théâtre, le débat s'est
engagé avec les deux auteurs et Gibeau de dire : « Les choses ont
dues évoluer dans les écoles militaires ». Mais il le dit
d'un ton grinçant qui bannit toujours l'uniforme. Certes, les conditions de vie
des futurs officiers ou sous-officiers ne sont plus les mêmes, mais la
discipline aveugle est toujours de règle et les juteux ont encore le
pied leste. Les violences morales n'épargnent pas les insoumis. Est-ce une
révolte inconsciente de la hiérarchie, ou une façon particulière de
s'exprimer ? Quoi qu'il en soit, les bleus en font toujours les
frais.
Quant à Boisset, il n'a pas eu de
problème avec l'armée pour tourner ce film dans la mesure ou il n'a jamais fait
appel à cette institution sous quelque uniforme que ce soit.
J.L.G.
Paris Normandie 1981.
Yves Gibeau (Allons
z'enfants) aux Andelys : souvenirs d'une jeunesse volée...
Les anciens élèves qui viennent, d'un pas
nostalgique, égrènent leurs souvenir sur le gravier des cours d' école, se
ressemblent tous un peu : regard absent et bras ballants, ils ont l'air de
marcher au hasard, sans repère, ni port d'attache... Et pourtant, indifférents
au tourbillon d'une jeunesse qui depuis longtemps déjà ne leur appartient plus,
ils ne laissent rien échapper. Rien de ce qui fut leur univers ….
Ainsi, Yves Gibeau, revenu dans
l'enceinte de son ancienne école militaire des enfants de troupe des Andelys,
avait-il cette silhouette un peu lasse, en peu errante, des visiteurs du
crépuscule. Mais n'empêche que lui, Yves Gibeau, l'auteur d'un poignant Allons
z'enfants aujourd'hui devenu un film, n'était pas hier aux Andelys, un
invité comme les autres …...
Et il a tout reconnu, Yves Gibeau. Bien
sûr, les gosses aux crâne rasé et aux galoches marchant au pas ne sont plus
qu'ombres du passé. Mais il s'est souvenu tout de même : de ces lourds
bâtiments de briques rouges, avec leurs classes et leurs dortoirs …. Mais aussi
des tête droite ! ou tête gauche ! devant le monument
aux morts … et des coups de sifflets, de ces incessants coups de sifflet qui
réglaient toute cette vie de caserne.
Il s'est souvenu. Et du souvenir cruel de
cette jeunesse qu'on lui a irrémédiablement volé … il a souri. Comme quoi,
quand on vieillit, le goût de la mémoire n'est jamais complètement amer ...
Paris Normandie Philippe HUET.
« Allons
z'enfants »
Une
exposition, un film
Les
passions se réveillent.
Ce vendredi 27 mars donc s'ouvre au CES
Jean Moulin des Andelys, l'exposition sur l'École militaire préparatoire de
1887, date de sa construction, à 1968, date de sa fermeture. Une exposition
voulue et réalisée vec l'aide de M. Pingué, professeur documentaliste, et des
professeurs, par les élèves de 5ème, à la suite de la lecture du roman d'Yves
Gibeau Allons z'enfants et de rencontres avec des anciens élèves et
professeurs de cette école.
Cette exposition historique réveille des
souvenirs pas si lointain et soulève encore des passions.
Le débat lancé en 1952 par Yves Gibeau
avec la parution de son livre, interdit dans toutes les casernes, n'est pas
clos. Il reprend vigueur, stimulé par la sortie du film d'Yves Boisset.
Le réalisateur d'Allons z'enfants
devrait être ce vendredi 27 mars à côté d'Yves Gibeau, l'auteur, au cinéma des
Andelys pour la présentation du film. Une grande soirée de gala à 21 h à laquelle
on annonce également la présence de l'interprète principal, Lucas Belvaux.
Auparavant à 18 heures, sera inaugurée
l'exposition Allons z'enfants au collège Jean Moulin et présence d'Yves
Gibeau. Celle-ci sera ouverte au public jusqu'au 30 avril aux heures scolaires.
Le film sera projeté au cinéma, vendredi,
samedi, dimanche.
Radio
Gambon
Allons
z'enfants :
un
pavé dans le Gambon
Tout ce qui est excessif est
insignifiant. Mais toute peine d'enfant est désolante et respectable. Yves
Gibeau a certainement été malheureux à l'école militaire des Andelys. Il y a
des enfants qui ne peuvent pas supporter l'internat. Et les internats
d'avant-guerre ce n'était pas drôle. Ni dans les prytanées militaires, ni dans
les pensionnats religieux, ni dans les lycées.
Mais ce n'était pas la chiourme,
protestent de nombreux anciens condisciples de Gibeau, cependant que d'anciens
professeurs s'étonnent de ce que l'auteur d'Allons z'enfants leur fait
dire. L'un deux se reconnaît sous un nom – M. Lelièvre – qui fait immanquablement
penser à lui mais ne reconnaît aucun des propos qu'on lui fait tenir dans le
livre, à savoir qu'il aurait encouragé l'enseignement des mathématiques au
détriment du français. Monsieur …. Lelièvre lève les bras au ciel en lisant ça.
D'autres anciens ont réagi, anciens
élèves ou anciens cadres. C'est ainsi que le colonel Rhein a répondu à l'un de
nos confrères qui avait parlé du livre et de l'école : « Il faut
savoir que 80% des promotions étaient composées d'orphelins de guerre. Où
serions-nous allés ? Nous n'avions pas d'autre famille. Heureusement, il y
avait des âmes charitables qui venaient à nous. Il est un fait certain,
poursuit-il, c'est que nous devions nous lever à 6 heures. Et alors ? Nous
devions faire notre toilette à l'eau froide. Et alors ? Porter un
uniforme. N'étions-nous pas dans une école militaire de laquelle sont sortis
tant de futurs haut-gradés de notre armée et surtout ceux qui ont su donner
leur vie pour la France en 1939-1945. Il est véridique que nous étions éduqués
sévèrement, écrit notre correspondant, mais nous n'avons jamais été menés au
fouet. Il est faux que nous servions de punching-ball et il précise
même : « Un jour, un sergent-chef instructeur a eu le malheur de
coller une paire de claques sur les joues d'un élève, il a été vu par notre
capitaine et a eu le temps de réfléchir pendant huit jours aux arrêts de
rigueur sur les conséquences d'un tel geste ».
Monsieur Jules Pilard, qui a été enfant
de troupe aux Andelys, a tenu à dire : « La vie dans cette école
était une vie de pension. Elle n'a jamais été un bagne. Je n'ai jamais reçu de
coups de fouet ou connu le cachot ».
Peut-on espérer tomber d'accord les uns
et les autres sur une conclusion dans ce goût : « Une pension
comme à peu près toutes les autres, d'un niveau d'enseignement excellent, et
d'une austérité qui n'apparaît pas particulière en cet avant-guerre où elle est
un trait de l'éducation française ». On comprend que les officiers
supérieurs sachent gré à l'État et à leurs anciens maîtres de les y avoir formés.
Par contre il faut bien admettre que ceux des enfants de troupe qui furent
fauchés à 18 ou 20 ans dans l'une des deux guerres n'auront pas connu
grand-chose de la vie, grand chose d'autre qu'un sévère apprentissage. Pire
encore qu'une enfance perdue, comme Gibeau, une vie perdue. C'est à
l'âge de 40 ans que l'on devrait envoyer les hommes à la guerre, pas à 20 ans …
D'autant que désormais il n'y a plus à porter le sac !
Yves Gibeau
est mort
L'ancien pensionnaire de l'École
militaire des Andelys, devenu écrivain avec son best-seller Allons z'enfants,
est décédé à l'âge de 78 ans dans sa maison de Roncy dans l'Aisne.
Son succès avait été adapté à l'écran en
1981 par Yves Boisset.
Impartial octobre 1994.
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