1882-1883 – Annonce d'une naissance difficile.
(Copies des sources documentaires : articles de journaux)
Le décret du 24 avril 1875 relatif à la loi du 5
avril de cette même année avait défini l’organisation de l’école d’enfants de
troupe de Rambouillet. Le ministère de la Guerre projetait la création de 4 à 5
écoles de ce type sur tout le territoire national. Chaque école devant avoir un
effectif d’environ 400 à 500 élèves, de nombreuses villes, Bourges,
Rambouillet, Pézenas, Alais, Montreuil, Yzeure, Bayeux se portaient candidates
pour accueillir de tels établissements.
Le 5 octobre 1882, L’Impartial des Andelys
croit savoir que la ville des Andelys sera prochainement pressentie pour, si
elle le désire, se porter candidate. Mais une telle candidature a un
prix : il faut « entrer dans les vues du ministre de la
Guerre », et pour être plus précis, prendre en charge en tout ou en partie
le coût de la construction des bâtiments nécessaires à une telle implantation.
L’auteur de l’article en est pour le moins un chaud partisan : « C’est une
occasion merveilleuse et inespérée de réparer le temps perdu et de donner à la
ville, dont le commerce se meurt et la prospérité diminue de jour en jour, les
moyens de refaire sa fortune et de retrouver la prospérité de ses anciens jours
» tout est dit. Il n’y a là aucune trace de patriotisme, mais la volonté de
défendre l’intérêt financier et commercial de la ville et de ses habitants. En
ces temps lointains, entre la guerre de 1870-1871 et celle à venir de
1914-1918, la présence d’un établissement militaire est une source certaine de
richesse. Cette idée persistera très longtemps. Pensez donc ajoute-t-il : « Une
école de cinq cents élèves avec tout le personnel [...] c’est au bas mot six
cent mille francs jetés chaque année dans la circulation publique, sans compter
l’activité donnée à tous les corps de métier pour la construction [...] et
l’animation extraordinaire donnée à la ville après l’installation de cette même
école ». Le prix à payer : « peut-être quatre cent cinquante mille
francs… ». Mais il est probable que l’État participera à hauteur d’un
quart ou d’un cinquième du coût total et, de toutes façons, la ville des
Andelys bien qu’endormie, présente une des meilleures situations financières du
département, alors, Les Andelys laisseront-ils passer une telle occasion ?
Nous verrons que non, mais quelle histoire !
Sous la mandature de Monsieur Bizet, maire des
Andelys, le conseil municipal du 14 octobre 1882 vote à l’unanimité la
candidature de sa ville auprès du ministère de la Guerre. Certes elle aura à
faire face à des sacrifices considérables, mais beaucoup étaient persuadés que
la construction et l’installation d’une école d’enfants de troupe ne pouvaient
que donner de magnifiques résultats pécuniaires pour leur cité. Les commerçants
ne peuvent être qu’unanimement favorables à un tel projet. Le personnel
militaire et civil, les élèves, les familles, les voyageurs, autant de
mouvements qui ne peuvent qu’engendrer des mouvements de trésorerie favorables
au développement des Andelys. Afin d’appuyer leur argumentation sur des données
quantitatives, les tenants d’une telle implantation font paraître dans L'Impartial,
sous le titre « Encore l’école d’enfants de troupe » une énumération
très parlante du personnel d’une école, jugez-en vous-même :
« […] il se compose :
- du commandant de l’école ;
- du commandant en second ;
- d’un officier d’administration ;
- de plusieurs officiers instructeurs ;
- d’un aumônier ;
- de douze professeurs ;
- d’un médecin ;
- de douze religieuses ;
- de 60 sous-officiers caporaux et soldats
environ, préposés aux divers services ».
Le 8 avril 1883, L'Impartial, informé que « dans
le classement des villes dont les offres ont été retenues, nous arrivons avec
le numéro 1 », demande « que les hommes de progrès de notre ville
prennent l’initiative d’un vaste pétitionnement ». Ces hommes de progrès
sont bien évidemment « ceux qui ont hâte de sortir de l’état précaire dans
lequel depuis trop longtemps notre ville est plongée ».
Ce projet ayant fait l’objet de nombreuses
discussions au sein de la population, et les projets ministériels étant
toujours d’actualité, le conseil municipal du 10 avril 1883 délibère à nouveau
sur la question de l’implantation d’une école d’enfants de troupe aux Andelys.
Mais cette fois, l’unanimité a disparu. Ce n’est que par 8 voix pour, 7 contre
et une abstention que la candidature de la ville a été confirmée. Il s’en est
fallu de peu que l’école militaire ne voit le jour dans une autre ville.
Aux termes de la délibération votée, la ville
propose la mise à disposition d’un terrain et ses voies d’accès, le tout acquis
et réalisé par ses soins, une somme forfaitaire de quatre cent mille francs
accordée au ministère de la Guerre en tant que participation aux frais de
construction et d’installation de la future école. Le financement de cette
opération sera assuré par un emprunt remboursable par annuités. Pour faire face
à ces nouvelles charges, le conseil envisage de créer une surtaxe qui sera
perçue par l’octroi sur certains produits entrant dans le périmètre
d’imposition fiscale de la commune. Il est à noter que cette surtaxe
nécessitait une loi spéciale votée par le Parlement. Par ailleurs il était
envisagé de créer des centimes additionnels, dans la limite de 10 centimes,
sachant qu’un centime additionnel valait 720 francs. Enfin les ressources
ordinaires du budget de la commune devaient permettre de boucler ce nouveau
budget. Afin d’élaborer une liste des articles soumis à cette sur taxation, une
commission ad hoc était mise en place.
Au cours de cette réunion et pour la première
fois, une ancienne revendication de la ville était associée à cet acte de
candidature ; sur la demande de deux membres du conseil, y est adjoint un
rappel de promesses anciennes et un vœu : « […] que les pouvoirs
publics prennent en considération les efforts faits par la ville des Andelys et
tous les sacrifices qu’elle s’impose pour sortir de l’état d’isolement dans
lequel elle a été délaissée, et qu’ils lui viendront en aide pour
l’établissement du chemin de fer […]. Nous verrons que ce chemin de fer fera
couler beaucoup d’encre au cours des années suivantes ».
Pour le moment, le ministère de la Guerre n’a pris
aucune décision quant à cette candidature, ainsi qu’en atteste la lettre du
général Lecointe, ancien gouverneur de Paris et actuel sénateur de l’Eure, lue
au cours de cette journée. Il faut attendre que le projet d’extension des
écoles d’enfants de troupe prenne forme.
Le 13 mai 1883, L'Impartial, annonce une
mauvaise nouvelle : « Les Andelys ne seront pas dotés de cette
excellente institution ». La concurrence est rude en Normandie. Selon des
indiscrétions en provenance du ministère de la Guerre, les villes retenues sont
Alais (Dordogne ou Gard ?), Cluny, Montreuil-sur-Mer, Rambouillet et …
Bayeux ! Le Calvados ayant renchéri sur l’offre des Andelys, six cent
mille francs, a fait valoir qu’il avait, lui, le chemin de fer mais aussi des
locaux disponibles pour accueillir les enfants de troupe dès la rentrée
scolaire du premier octobre prochain ! Les préférences de la direction du Génie
de Rouen et de l’état-major général du 3e corps d’armée n’ont pas
pesé lourd face à une telle offre. « Voilà un mécompte à ajouter à tant
d’autres... Puisse-t-on n’avoir pas à regretter cette occasion manquée autant
qu’on a regretté les occasions qui se sont présentées dans le passé pour avoir
le chemin de fer ».
Cet épisode malheureux est l’occasion pour L'Impartial,
journal de tendance républicaine, de régler ses comptes avec « le journal
de la réaction ». Dans son numéro du 23 décembre 1883, L'Impartial
s’en donne à cœur joie. Il faut savoir que Le Journal des Andelys,
émanation de la droite conservatrice, est farouchement opposé à l’implantation
d’une école d’enfants de troupe aux Andelys.
Mais que s’est-il passé à Bayeux ? Primitivement,
le ministère avait jeté son dévolu sur cette ville, mais de graves dissensions
étant apparues au sein de son conseil municipal, le maire de Bayeux, Monsieur
Niobey, et trois autres conseillers municipaux ont démissionné le 2 décembre.
Il s’en est suivi quatre élections partielles et l’arrivée de « quatre
réactionnaires » opposés à l’implantation de l’école d’enfants de troupe à
Bayeux. Victoire du bon sens selon Le Journal des Andelys qui
sentencieusement écrit : « Bon exemple à suivre pour les
municipalités soucieuses de bien aménager leurs finances et de ne pas
immobiliser pour un demi siècle leurs ressources disponibles ». Mais aussi
victoire de la démocratie, ajoute-t-il, car 647 voix sur 849 suffrages exprimés
se sont portées sur les candidats de la raison. Et L’impartial de
rétorquer qu’il s’agit en fait de 647 voix sur 1711 inscrits, les républicains
ayant prôné l’abstention ! Querelles toujours d’actualité. Durant la
campagne électorale, la « réaction » avait avancé de nombreux
chiffres qui tous annonçaient une débâcle financière. « Nous ne nous
donnerons pas la peine de relever les chiffres stupidement fantastiques que
l’imagination de gens habitués aux grosses opérations comme celle de l’Union
Générale, du Port Breton, de la Banque Romaine », rétorque L’impartial
qui avance des arguments financiers tirés de l’expérience acquise à
Rambouillet. Le directeur de L'Écho rambolitain, journal de cette ville,
dans une lettre dont se fait l’écho L’Impartial, donne quelques chiffres
lesquels selon lui devraient renforcer le camp des partisans de l’école
d’enfants de troupe. Lisons ces chiffres : l’école de Rambouillet
comprend 320 élèves, 8 professeurs civils qui vivent et logent en ville,
4 officiers et un cadre qui est bien payé et
dépense tout ce qu’il gagne, 38 sous-officiers et soldats. Parmi les matières
consommées par l’école il faut noter une pièce de vin tous les trois jours, 250
kg de charbon par jour en hiver, l’huile, le vinaigre, etc… produits qui
rapportent au moins 5 à 6 000 francs de droits d’octroi par an. Alors
pensez-donc, avec 500 élèves au lieu de 320, que de dépenses en plus !
Mais pour l’auteur de cette lettre, un certain Monsieur Dunon, la vérité est
que si « les réactionnaires des
Andelys entrent en fureur au sujet du marché que la ville va passer avec le
ministre », c’est parce que « ces écoles sont laïcisées quant à
l’enseignement et qu’ils auraient vu d’un bon œil les chers frères de la
Doctrine chrétienne les prendre en charge ». Nous ne sommes pas encore en
1905.
Et L’Impartial d’avancer d’autres
témoignages en faveur de cette implantation, dont celui de Monsieur Lambert,
avoué à Rambouillet et maire adjoint de cette ville, qui confirme les termes de
la précédente lettre, mais aussi une déclaration officielle du ministère de la
Guerre selon laquelle chaque école dépense 400 000 francs par an au
bénéfice de la ville qui l’accueille. « Multipliez 400 000 francs par
un demi-siècle, cela serait un joli denier dépensé dans notre pays ».
Dernière adresse à ces messieurs de la réaction, « et
puis quand il n’y aurait que la question du chemin de fer », encore lui,
car dans l’esprit des tenant de l’école militaire, elle ne peut exister sans un
chemin de fer. Enfin, « il existe quelque part une pétition qui est
revêtue de plus d’un millier de signatures ».
Les opposants à l’implantation d’une école
militaire à Bayeux vont obtenir gain de cause. Les négociations avec le nouveau
conseil de Bayeux reprises par la direction du Génie de Rouen échouent. Compte
tenu de la date butoir de fin des négociations fixée au 29 décembre 1883, et le
nouveau conseil étant aussi peu unanime ou aussi peu enclin à accepter les
exigences financières de l’État que le précédent, le lieutenant-colonel de
Bretteville, directeur du Génie à Rouen, informe le maire des Andelys, par
lettre du 27 décembre, que le ministère renonce à placer la future école à
Bayeux et retient la candidature des Andelys. Mais, car il y a un mais, la
ville devra porter sa subvention à 600 000 francs et confirmer que le terrain
et ses voies d’accès seront bien mis à disposition de la Guerre. « [...]
les conditions se trouvent ainsi nettement posées. Il sera facile à la
municipalité de prendre une décision [...] Si elle est affirmative je chargerai
M. le chef du Génie d’Evreux de s’entendre avec vous pour le choix du terrain
et la rédaction d’une convention établissant les obligations relatives de la
ville et de l’état... ».
Les partisans de l’école d’enfants de troupe
n’hésitent pas à utiliser tous les arguments à leur disposition. Ils font
paraître le 27 décembre 1883 une lettre en date du 26 novembre émanant du
tribunal de commerce de Pézenas. Le conseil municipal de cette commune a voté
par 20 voix sur 21 un acte de candidature pour recevoir une école d’enfants de
troupe de cavalerie. Pour ce faire Pézenas s’engage à investir 750 000 francs
et à fournir le terrain nécessaire à la construction de l’école…
La ville des Andelys se comporterait-elle comme la
ville de Mantes ? Mantes avait été approchée par le ministre de la Guerre
pour l’installation éventuelle d’une école d’enfants de troupe. Monsieur le
maire avait refusé une telle proposition arguant de la petitesse de sa commune,
6 500 habitants. Or parmi les villes en bonne position pour être sélectionnées,
se trouvent des communes plus petites comme Montreuil-sur-Mer avec 3 649
habitants. Il ne s’agit donc pas d’un problème de taille mais de volonté. Qu’on
se le dise ! « Ce qu’il fallait, c’est se bouger un peu ». Alors
les Andelysiens vont-ils se bouger ?
Le conseil municipal du 29 décembre 1883 vote à
nouveau la création d’une école d’enfants de troupe dans le rayon de son
octroi. Cette fois, la délibération est votée par 13 voix contre 6. Ce n’est
pas à nouveau l’unanimité, mais c’est déjà mieux que lors du dernier vote. Les
élus veulent absolument « sortir leur ville de l’ornière ».
Ils espèrent aussi obtenir cette ligne de chemin de fer tant attendue et ainsi
permettre aux Andelys « de tenir enfin le rang qu’elle doit occuper comme
sous-préfecture et de chef-lieu d’arrondissement ».
Le 30 décembre 1883, L’Impartial annonce en
dernières nouvelles que « Monsieur le ministre de la Guerre a donné des
ordres pour que des pourparlers soient engagés d’une manière définitive avec la
ville des Andelys […] La majorité républicaine du conseil fera patriotiquement
son devoir. Cette nouvelle va contrarier le parti réactionnaire qui ne
peut admettre qu’on fasse grand sous la République ».
Rien n’est encore définitif ainsi que nous le
verrons au cours des années suivantes, mais nous sommes sur la bonne voie.
L’article de conclure : « Au mois d’octobre prochain,
nous entendrons dans nos rues le roulement des tambours et le son des
trompettes. Et certainement le chemin de fer se fera en même temps que
l’école ».
Fermez le ban !
À l’aube de l’année 1884 d’ultimes pressions sont
exercées sur les édiles. Le général Cornat, commandant le 3e corps
d’armée, adresse une lettre à M. le Maire en lui demandant une décision
d’urgence, la ville de Bayeux venant de faire une nouvelle offre
( ?) : « … Je crois que vous ferez bien de prendre le plus tôt
possible une décision à ce sujet et m’en donner connaissance car je viens de
recevoir de la part de Monsieur le Préfet du Calvados une nouvelle proposition
pour Bayeux qui paraît assez avantageuse et dont naturellement je dois saisir
le ministre… ».
Sur ces entrefaites, le maire reçoit une pétition
de plus de 700 signatures visant la délibération du 10 avril 1883 et exigeant
du conseil qu’il mène à bien ce projet. Cette pétition fera l’objet d’un débat
houleux au conseil suivant du 5 janvier 1884.
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