1884 : Une année décisive et le projet se confirme ...

Le 3 janvier 1884, une question sans réponse.
A l’occasion des vœux traditionnels du 1er janvier et en présence du sous-préfet des Andelys, monsieur le maire a bien insisté sur ce qu’aujourd’hui on nomme le « donnant-donnant » ; si le conseil municipal confirme l’accord de la ville quant à l’école militaire, elle obtiendra l’appui de tous les sénateurs et députés de l’Eure. « Mais qu’en est-il de l’assurance officielle de la concomitance des travaux de l’école et du chemin de fer, monsieur le représentant de l’État ? » En substance, ce dernier ne répond pas directement à la question mais confirme que tout dépend maintenant du conseil. Comprenne qui pourra.
Le conseil municipal du 5 janvier 1884.
Ce conseil marque l’engagement définitif de la ville quant à sa candidature à une école d’enfants de troupe. Après avoir rappelé les différentes phases par lesquelles la question de l’école d’enfants de troupe est passée, monsieur Milliard, le nouveau maire des Andelys, rappelle que la commission, mise en place par la délibération du 10 avril 1883, a étudié « les voies et les moyens les moins onéreux pour arriver à doter le pays de l’institution militaire qui échappe à Bayeux et que tant d’autres villes ont sollicitée ». Monsieur le maire confirme, du moins est-ce son intime conviction car nous verrons que rien d’officiel ne lui permettait d’assumer une telle assertion, « que la ville trouvera une compensation aux charges qu’elle s’imposera par la construction simultanée du chemin de fer et de l’école d’enfants de troupe ».

Monsieur Contant rapporte le résultat du travail fait par ladite commission, approuvé par cinq voix sur six, presque l’unanimité. En voici le résumé :
- un emprunt réalisé par la ville pour financer la subvention accordée au ministère de la Guerre ;
- l'acquisition d’un terrain pour l’y implanter ;
- un autre emprunt pour financer l’acquisition du terrain ;
- une imposition extraordinaire de 0.25 centime, soit une augmentation de 13% sur le principal des contributions.
La commission prend toutefois ses précautions, comme toutes les commissions, en prévenant qu’il faudra attendre la signature définitive de la convention État–Ville pour déterminer la nouvelle imposition fiscale des assujettis andelysiens pour faire face aux nouvelles charges.

Il convient maintenant de signaler les interventions de deux opposants inquiets des charges nouvelles auxquelles devrait faire face la ville. Le premier, monsieur de Fontanges assurant « que nul n’était plus que lui partisan en principe de l’institution de l’école d’enfants de troupe » est néanmoins persuadé que la ville ne pourra assumer les nouvelles charges et qu’elle ne bénéficiera d’aucune compensation. En appui à son propos pessimiste, il cite deux exemples, le vin et le chemin de fer. Le vin sera acheté par la cantine de la future école, exonérée de taxes comme toutes les cantines des armées et quant au chemin de fer le trafic des passagers sera insuffisant pour décider la Compagnie de l’Ouest à réaliser un tel investissement. Arguments tout à fait recevables, sauf pour monsieur le maire « qui rétorque qu’il ne pense pas que le gouvernement républicain installera des cantines dans les écoles à créer », quant au chemin de fer « il apparaît aux yeux de tous les gens les moins crédules que la construction de chemin de fer s’impose pour un pays doté d’un service national ». Le second, monsieur de Marigny, est persuadé quant à lui que, si la ville accepte les conditions du ministre de la Guerre, elle « va épuiser toutes ses ressources disponibles » et ce, au détriment « de travaux dont l’urgence est moins contestable et moins contestée que celle de l’école d’enfants de troupe ».

Les partisans d’une telle implantation argumentent en mettant en avant la pétition signée par la presque totalité des habitants de la ville en faveur de l’école. Mais pour monsieur de Marigny, « la pétition n’a à ses yeux aucune valeur ». Et pourtant monsieur Milliard, citant les noms de certains pétitionnaires, assure qu’il convient de prendre en considération un tel document. Les uns protestent contre l’abus du droit de pétitionnement, d’autres au contraire assurent que « la pétition est un mandat impératif ». Un combat idéologique qui n’est pas sans annoncer d’autres débats plus actuels. Qui est le plus légitime, la pression de la rue ou le pouvoir démocratiquement établi ? Heureusement monsieur Milliard présente une vision moins antagoniste des deux approches, la pétition n’est qu’une indication parfaitement légale de souhaits exprimés par une partie de la population et non un impératif. Chaque élu est libre de voter selon ses propres convictions, tout en tenant compte des désirs exprimés par une population.
         
Après l’idéologie, les finances : monsieur Fessard, représentant le monde agricole et peut-être agriculteur lui-même, assure que les centimes additionnels seront supportés principalement par la culture. En réponse et après une belle démonstration comptable, monsieur le maire peut donc affirmer « sans démenti possible que le commerce seul sera chargé trois fois plus que la culture par les impôts à créer ». Et voici notre leitmotiv énoncé par monsieur Julien : « la conséquence immédiate et inévitable de la création de l’école d’enfants de troupe, ce sera la construction du chemin de fer qui donnera une nouvelle vie et une nouvelle prospérité au commerce local ».

Après une discussion plutôt très animée et des échanges assez vifs, par 13 voix contre 6, la ville des Andelys confirme définitivement, mais nous verrons qu’il y aura des combats d’arrière-garde, son accord pour l’implantation d’une école d’enfants de troupe.
         
Parmi les résolutions votées et après les formules administratives habituelles et la confirmation des engagements pris précédemment par la Ville, notons les éléments suivants :
« … qu’il entre dans les vues de la majorité de la population de s’imposer tous les sacrifices nécessaires afin d’obtenir de monsieur le ministre de la Guerre et des Pouvoirs publics une école d’enfants de troupe aux Andelys dans le territoire de l’octroi,
… qu’il y a donc lieu d’espérer que la mise en œuvre des travaux de chemin de fer devant relier les Andelys à la ligne de Paris à Rouen suivra de près celle des travaux de l’école,
… que le gouvernement … n’hésitera pas à demander à la Compagnie de l’Ouest la réalisation des engagements pris par elle en ce qui concerne la ligne des Andelys à Saint Pierre du Rouvray... etc. ».

Le conseil municipal autorise monsieur le maire à emprunter au meilleur taux et pour une durée qui ne devrait pas excéder cinquante ans. Tous espèrent que le département leur viendra en aide et que le fameux chemin de fer…


Le 9 janvier 1884.
Le général Cornat adresse un courrier au maire des Andelys pour lui confirmer que sa ville est définitivement retenue pour recevoir l’école des enfants de troupe de la 3e région militaire. Accompagné du colonel directeur du Génie de Rouen et du commandant du Génie d’Evreux, le général Cornat se rendra aux Andelys le dimanche 13 janvier pour étudier les questions relatives à l’emplacement de la future école. On dit même que la convention qui doit intervenir entre l’État et la ville est prête ! Leur arrivée est prévue en gare de Gaillon à 10 h 09. Le 13 janvier, L’Impartial annonce : « Nous sommes aussi heureux d’apprendre que la convention qui doit intervenir entre l’État et la ville est toute préparée ; elle est à la veille de recevoir les signatures ».


Le 3 avril.
L’Impartial annonce que, par décision ministérielle, monsieur le capitaine du Génie Passelergue a été désigné pour diriger les travaux de construction de l’école d’enfants de troupe. Le 5 mai, les officiers du Génie feront les relevés topographiques du terrain destiné à recevoir l’école. Date peut-être un peu prématurée car le décret préfectoral qui leur permettra de travailler sans se faire mettre en joue par des paysans récalcitrants ne paraîtra que deux jours plus tard ! « Si on en croit la petite histoire locale, la commission chargée de choisir l’emplacement définitif débarqua aux Andelys au milieu d’un épais brouillard. Après avoir refusé une première offre de terrain, elle serait partie à pied vers la campagne en suivant le cours du Gambon. Lorsqu’enfin le brouillard se leva, elle découvrit un vallon enchâssé entre des flots de verdure : le site plut et les chantiers s’ouvrirent là, à quelques kilomètres de la ville et en pleine nature normande ».


Le 7 mai 1884.
Monsieur le préfet de l’Eure, Jules Barrème, signe un arrêté relatif à l’installation de l’école d’enfants de troupe. En voici le texte in extenso :

« République française, département de l’Eure, ville des Andelys, installation d’une école d’enfants de troupe.
Le préfet du département de l’Eure.
Vu la dépêche de monsieur le ministre de la Guerre, en date du 18 mars dernier à monsieur le directeur du Génie à Rouen prescrivant l’étude de détail de l’installation d’une école d’enfants de troupe aux Andelys en prenant pour base l’emplacement proposé et reconnu sur place par monsieur le général commandant le 3e corps d’armée,
Vu la demande présentée le 6 mai courant par le chef de bataillon, chef du Génie à Evreux, pour obtenir de pénétrer sur les propriétés où l’emplacement a été choisi afin de procéder à l’étude du détail et représenter sur le papier la forme et les contours du terrain,
Vu les lois du 28 pluviose An VIII et 16 septembre 1807 et l’article 438, arrête,

Article 1 : Monsieur le chef de bataillon, chef du Génie à Evreux et les agents placés sous ses ordres sont autorisés à s’introduire dans les propriétés publiques ou privées, closes ou non closes, à l’effet de procéder à toutes les opérations de levées des plans, sondages, nivellement et autres relatives à l’installation d’une école d’enfants de troupe aux Andelys. Ces opérations s’exécuteront sur le territoire de la commune des Andelys. Les agents du Génie devront être munis d’une commission signée de monsieur le chef de bataillon, chef du Génie à Evreux.
Article 2 : Lorsqu’il sera indispensable de faire des percées dans les clôtures, d’abattre les plantations ou de causer tout dommage, les personnes désignées à l’article précédent en préviendront les propriétaires ou leurs représentants sur les lieux et règleront immédiatement avec eux l’indemnité à payer pour ce fait.
Si cette indemnité ne peut être fixée à l’amiable, elle sera ultérieurement réglée par le conseil de préfecture après expertise contradictoire conformément à la loi du 28 pluviose An VIII et aux articles 56 et 57 de la loi du 16 septembre 1807. Dans tous les cas aucun retard ne devra être apporté aux opérations. En cas de refus de la part des propriétaires de laisser pénétrer dans les propriétés les personnes ci-dessus autorisées, ces dernières requerront l’intervention du maire qui devra leur prêter l’appui de son autorité.
Article 3 : Il est expressément défendu d’enlever les piquets ou jalons, de détruire les repères placés par les hommes de l’art, de causer aucune espèce de trouble dans les opérations dont il s’agit.
Article 4 : Monsieur le maire des Andelys est chargé d’assurer l’exécution du présent arrêté qui sera publié et affiché.
Evreux le 7 mai 1884 ».

En mai, les tenants de cette école s’inquiètent, des rumeurs circulent : la création de l’école militaire aux Andelys serait remise en cause. En fait, il n’en est rien, monsieur de Freycinet a simplement réuni une commission pour faire avancer le projet de loi relatif au statut des enfants de troupe dans les régiments et à leur affectation dans des établissements scolaires. « La création d’un de ces établissements aux Andelys a plus que jamais  toute sa raison d’être ». Ouf !


La séance du 2 juillet 1884.
Le conseil municipal des Andelys fut quelque peu mouvementé. La commission chargée d’étudier et de proposer les mesures fiscales qui devraient permettre de faire face aux besoins découlant de l’implantation d’une école d’enfants de troupe rend son rapport définitif. L’imposition initialement prévue à 0,25 centime serait portée à 0,31 centime. L’ensemble des mesures proposées devrait produire une perception annuelle de 16 349 francs. Pour répondre à monsieur E. Mouton, rapporteur de la commission, monsieur Mettais-Cartier s’élève, comme tous les opposants à l’implantation d’une telle école, « contre l’énormité des charges prévisionnelles qui pèseront sur la ville sans aucune compensation » et il ajoute : « les promesses purement officieuses qui ont été faites pour la construction du chemin de fer n’ont aucune valeur ».

Malgré l’engagement pris à la majorité du conseil municipal par la ville des Andelys d’accueillir une école militaire, certains espèrent toujours faire échouer ce projet. « Voudra-t-on, demande monsieur Millard, maire adjoint, revenir sur une parole donnée » ? Au diable la parole donnée, monsieur Mettais-Cartier pense « qu’en matière administrative une signature donnée n’a pas la même importance, la même immuabilité que dans la vie civile ordinaire ». Monsieur Fenaux s’insurge contre une telle théorie : « Il n’y a qu’une sorte d’honneur et la signature d’un conseil municipal aussi bien qu’un particulier engage son honneur par la signature donnée. Il serait aussi honteux de laisser protester la signature d’une ville qu’il est déshonorant pour un homme de faillir contre la sienne ». Continuant sur sa lancée oratoire, il rappelle que ceux qui ont remporté les dernières élections ont été élus sur un programme qui mentionnait clairement la création d’une école d’enfants de troupe. Il en profite pour fustiger le comportement du général de Fontanges qui s’oppose toujours à une telle implantation pourtant reconnue d’importance nationale par tous les professionnels de la question qui ne devrait pas être un enjeu de politique partisane ... Ce à quoi le général de Fontanges rétorque qu’il n’est pas admissible « de mettre en cause son patriotisme, qu’il n’a jamais hésité quand il s’est agi de rendre service à la France », mais qu’il refuse de participer à la ruine de la ville ! C’est aussi l’avis de son collègue monsieur Mettais-Cartier qui adjure  « le conseil municipal de répudier cette affaire et d’éviter la ruine qui en sera la conséquence ... Ah ! si le chemin de fer se faisait en même temps que l’école d’enfants de troupe ; (il) la voterait, aveuglément, sans hésitation », mais « il restera encore longtemps à l’état de projet ». Monsieur Lelièvre, un autre sceptique, demande si « la municipalité peut affirmer officiellement que le chemin de fer sera construit en même temps que l’école ». Mais oui, lui rétorque monsieur Dumesnil, « il suffit de lire le registre des délibérations ! » Monsieur le maire n’a-t-il pas promis que le chemin de fer sera construit en même temps que l’école d’enfants de troupe ! Mais d’où tient-il cette assurance ? Certes les assurances qu’il a reçues des milieux compétents, ne sont qu’officieuses mais il ne saurait être question de douter de la « simple logique des faits ». Et au regard de ses intimes convictions, « le chemin de fer suivra de près s’il n’accompagne pas l’école d’enfants de troupe ». Nul ne peut envisager « que l’on puisse laisser un établissement, une école, sans relation avec les services dont elle dépend, les familles sans communications avec l’extérieur ! ». De plus, la ville a signé un contrat avec l’État et il n’est nullement envisageable de le déchirer sans risquer des représailles de sa part. L’État pourrait par simple décret obliger la ville à respecter ses engagements. Et tous ces échanges pour une simple histoire de fiscalité qui serait trop lourde. Et pourtant, le taux d’imposition proposé par la commission est inférieur à la moyenne des impositions de l’Oise, de la Seine-et-Oise et de la plupart des communes de l’Eure. « Y est-on plus malheureux qu’aux Andelys ? » demande monsieur le maire.

Le vote du conseil fait apparaître une majorité de treize voix contre sept en faveur du projet d’imposition et ce, malgré la « trahison de deux membres de la majorité municipale élue sur l’approbation du projet de l’implantation de l’école militaire ».
         
L’Impartial n’hésite pas à conclure son article par ses mots : « les Andelysiens pourront se rendre compte de la pauvreté et de l’inanité des arguments employés par les ennemis de l’école d’enfants de troupe et qu’en votant cette école, la majorité du conseil a bien mérité du pays ».


Le 13 juillet.
Est votée par la Chambre et selon les mêmes termes que le Sénat la loi modifiant le fonctionnement de l’institution des enfants de troupe. En résumé, les enfants de troupe, fils de militaires, jusqu’au grade de capitaine et assimilés, sur proposition des corps de troupe concernés, seront laissés dans leur famille jusqu’à 13 ans. Les familles recevront une allocation forfaitaire de 100 à 180 francs. Ils pourront être admis dans les écoles d’enfants de troupe, au nombre de six, infanterie quatre, cavalerie une, artillerie et génie une, avant leur quatorzième  année. Cette admission est soumise à la signature d’un engagement dans l’armée d’active pour une durée au moins égale à la durée du service armé de la classe à laquelle ils appartiennent. En cas de refus, le ministère est autorisé à récupérer la moitié des frais d’entretien payés par l’État aux familles auprès de celles-ci ou des enfants s’ils disposent de ressources personnelles.
Cette loi devrait permettre, plus que l’ancienne formule, un meilleur recrutement d’une partie des cadres.

Le conseil du 6 septembre.
Devant les prétentions jugées exorbitantes de monsieur Amaury, le propriétaire du terrain choisi par le Génie, le conseil décide à l’unanimité de recourir à la procédure d’expropriation.
Le 26 octobre, le ministère de la Guerre émet le décret qui va permettre d’acquérir le terrain sélectionné par expropriation pour cause d’utilité publique. En voici le texte :
« Le président de la République française sur le rapport du ministère de la Guerre,
Vu la loi du 3 mai 1841, sur l’expropriation pour cause d’utilité publique,
Considérant que pour la construction d’une école d’enfants de troupe dans la ville des Andelys, il y a lieu d’acquérir diverses parcelles de terrain telles qu’elles sont fixées par une teinte verte sur un plan dressé le 27 septembre 1884 par le chef du Génie à Evreux et désigné dans un état parcellaire à l’appui ci annexé,
Considérant en outre qu’il y a urgence à prendre possession de celles de ces parcelles qui ne sont pas bâties, décrète :
Article 1. L’acquisition pour le service militaire des parcelles de terrain susmentionnées est déclarée(s) d’utilité publique.
Article 2. La prise de possession de celles de ces parcelles qui ne sont pas bâties, est déclarée d’urgence.
Article 3. Le ministre de la Guerre est chargé de l’exécution du présent décret.
Fait à Paris le 26 octobre 1884.
Signé Jules Grévy pour le président de la République,
Signé Campenon pour le ministre de la Guerre ».


L’école d’enfants de troupe, un enjeu électoral.
titre L’Impartial dans son numéro du 11 décembre. Il mentionne un opuscule édité et « distribué par l’intermédiaire d’une maison de publicistes de la ville » par monsieur Léon Sevaistre, conseiller général de l’Eure, futur candidat « réactionnaire » ou au Sénat ou à la Chambre, il ne le sait encore, dans lequel le futur candidat fulmine contre le projet des Andelysiens, « jugés idiots incurables dont aucun aliéniste ne voudrait ». Mais le signataire de l’article est persuadé que le conseiller général d’Amfreville, ne fera pas le poids face à Monsieur Louis Passy, un républicain et patriote qui suit cette affaire, l’implantation de l’école militaire, afin qu’elle soit menée à son terme.

Au crépuscule de l’année 1884, le projet de l’école d’enfants de troupe est définitivement bouclé, politiquement, financièrement et géographiquement. Il reste maintenant à le réaliser concrètement sur le terrain.


ÉCOLE MILITAIRE PRÉPARATOIRE DES ANDELYS 


1884 – Le projet se confirme, dernières escarmouches. 

Une école, une gare, un emprunt.
Monsieur le maire a remercié le gouvernement d'avoir bien voulu choisir la ville des Andelys pour être, si elle le veut, le siège d'un établissement national. Monsieur le maire a ajouté que si le conseil municipal acceptait la proposition de monsieur le ministre de la Guerre, le concours des sénateurs et des députés de l'Eure, sans exception, leur était assuré. Il a demandé l'assurance officielle pour ainsi dire que les travaux de l'une (l'école) ne commenceraient pas avant les travaux de l'autre (le chemin de fer). 
Monsieur le sous-préfet répond avec son éloquence habituelle en faisant remarquer que la question du chemin de fer était intimement liée à celle de l'école d'enfants de troupe et que tout dépendait maintenant de la municipalité. Monsieur le sous-préfet a dit qu'il ne doutait pas de la solution.

Par treize voix contre six le conseil municipal de la ville des Andelys dans sa séance du 29 décembre 1883 a voté la création d’une école des enfants de troupe dans le rayon de son octroi. Le conseil municipal en cette grave affaire, il s’agit de plusieurs centaines de mille francs, a voté selon le désir de ceux qui veulent comme le disait un des votants, sortir de l’ornière. Le vote du conseil entraîne nécessairement la négociation d’un emprunt. Espérons que l’administration compétente et les chambres n’y seront point hostiles et nous verrons alors la ville des Andelys jusqu’à présent si délaissée, privée de chemin de fer et ayant échoué dans toutes les entreprises tentées pour relever son commerce et lui donner un peu de vie tenir enfin le rang qu’elle doit occuper comme sous-préfecture et chef-lieu d’arrondissement.

Nous venons d’avoir communication à la mairie d’une lettre de monsieur le général Cornat commandant le 3e corps d’armée et adressée à monsieur le maire des Andelys à la date d’hier, 9 courant. De cette lettre il résulte que l’école d’enfants de troupe est une question résolue, que les Andelys auront donc l’école d’enfants de troupe de la
3e région. Le général commandant le 3e corps annonce sa visite prochaine à monsieur le maire 

L'Impartial 10 janvier 1884

Une visite d'importance.
Le général Cornat commandant le 3e corps d’armée, le colonel directeur du Génie de Rouen et le commandant du Génie d’Evreux arriveront aujourd’hui dimanche à Gaillon par le train à 10 h 09 et seront aux Andelys dans la matinée pour étudier les questions se rattachant à l’emplacement de l’école d’enfants de troupe. Nous sommes heureux aussi d’apprendre que la convention qui doit intervenir entre l’État et la ville est toute préparée; elle est à la veille de recevoir les signatures. 

L'Impartial 13 janvier 1884 

Conseil Municipal du 5 janvier, un rappel de l'historique, et d'ultimes (?) joutes oratoires.
Nous copions textuellement le procès verbal de cette importante séance. Etaient présents: MM. Morsent, Jullien, Contan, Queudray, de Fontange, Lemerre, Dujardin, Bizet, Lemoine, Lamer, Milliard, Monton, Gérard, Fontelay, Montaillé, Fessart, Lelièvre, Lacire, M. de Marigny; absents excusés: MM. Cavelier, Dumesnil, Portier; et Lesage non excusé. M. Lacire remplit les fonctions de secrétaire.

La séance ouverte, monsieur le maire commence par exposer les différentes phases par lesquelles a passé la question de l’école d’enfants de troupe. A la suite de difficultés et de dissensions qui se sont produites au conseil municipal de Bayeux primitivement désignée par monsieur le ministre de la Guerre, il crut de son devoir de réitérer les offres déjà faites par le conseil, en conséquence de la délibération du 10 avril dernier. Mais Bayeux n’était pas complètement abandonnée. L’autorité militaire ne renonça à traiter avec la municipalité de cette ville qu’après le succès des efforts tentés par l’Administration pour arriver à une entente en reconstituant, après la démission de l’ancienne municipalité, une municipalité nouvelle qui fût disposée à renouer les pourparlers suspendus avec l’autorité militaire. Le temps se poursuit donc en négociations jusqu’au 29 décembre. A cette date monsieur le maire reçut de monsieur le lieutenant-colonel directeur du Génie une lettre dont une copie a été transmise à chacun des membres du conseil :

Rouen le 27 décembre 1883 - Le lieutenant-colonel de Bretteville, directeur du Génie à Rouen à monsieur le Maire des Andelys :

« Monsieur le Maire,
Comme suite à ma lettre du 23 novembre dernier, relative à la création d’une école d’enfants de troupe, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le ministre de la Guerre renonce à placer cette école dans la ville de Bayeux. Il m’autorise à reprendre les pourparlers avec la ville des Andelys mais à la condition que la subvention soit portée à 600 000 Fr, l’achat de terrain restant à la charge de la ville comme l’offre en a été faite. Les conditions se trouvent ainsi nettement posées. Il sera facile à la municipalité de prendre une décision. Je vous prierais monsieur le maire de me la faire connaître dès qu’elle sera arrêtée. Si elle est affirmative je chargerai monsieur le chef du Génie d’Evreux de s’entendre avec vous pour le choix du terrain et la rédaction d’une convention établissant les obligations respectives de la ville et de l’État. Veuillez agréer, Monsieur le maire, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Le lieutenant-colonel directeur du génie G de Bretteville ».

Cette lettre fut suivie d’une autre lettre de monsieur le général Cornat en date du 30 décembre  ainsi conçue :

« Monsieur le Maire,
Je vous ai fait adresser récemment par le Génie les nouvelles propositions de monsieur le ministre de la Guerre pour la création de l’école d’enfants de troupe aux Andelys. Je crois que vous ferez bien de prendre le plus tôt possible une décision à ce sujet et m’en donner connaissance car je viens de recevoir de la part de monsieur le préfet du Calvados une nouvelle proposition pour Bayeux qui paraît être assez avantageuse et dont naturellement je dois saisir le ministre. J’ai cru devoir vous faire cette communication dans l’intérêt de vos administrés.

Recevez, Monsieur le Maire, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

Le général commandant le 3ème corps Cornat ».

Sur ces entrefaites, monsieur le maire fut saisi d’une pétition couverte de plus de 700 signatures visant la délibération du 10 avril 1883 et demandant au conseil municipal de s’imposer de nouveaux sacrifices si besoin était. Une commission avait été nommée par le conseil dans sa séance du 10 avril 1883 où strictement les pouvoirs de cette commission sont exprimés. Mais monsieur le maire a pensé qu’il était sage d’en réunir les membres à titre purement officieux afin d’étudier dans une réunion préparatoire les voies et moyens les moins onéreux pour arriver à doter le pays de l’institution militaire qui échappe à Bayeux et que tant d’autres villes ont sollicitée. Monsieur le maire ajoute que si le conseil municipal est appelé à faire un lourd sacrifice il est officiellement établi que la ville trouvera une compensation aux charges qu’elle s’imposera par la construction simultanée du chemin de fer et de l’école d’enfants de troupe. Telles sont les conditions dans lesquelles l’affaire est soumise au conseil municipal.

La parole est ensuite donnée à monsieur Contant désigné par l’ancienne commission nommée dans la séance du 10 avril 1883 pour rendre compte au conseil du résultat de ses études et de ses recherches. Du rapport de monsieur Contant, il résulte que la commission par 5 voix sur 6 a décidé de proposer au conseil :
- le vote d’une subvention de 600 000 Fr demandée par le gouvernement pour la création sur le territoire des Andelys de l’école d’enfants de troupe,
- l’acquisition par la ville du terrain nécessaire pour l’installation de cette école,
- un emprunt par la ville d’une somme de 600 000 Fr versée à titre de subvention au ministre de la Guerre,
- un emprunt de la somme nécessaire à l’acquisition du terrain,
- l’imposition extraordinaire de 0,25 cent ; la ville devant pourvoir au service de sa dette, cette imposition n’étant pas suffisante assurément par une surtaxe sur son octroi. Mais, dit monsieur Contant, la commission a jugé qu’il n’y aura lieu de statuer utilement sur le détail que quand le conseil municipal sera fixé sur les termes de la convention à intervenir avec le ministre de la Guerre. Monsieur Contant fait ressortir que l’augmentation qui résulterait de la nouvelle imposition de 0,25 fr proposée par la commission équivaudrait à une augmentation de 13 pour 100 sur le principal des contributions. Messieurs de Fontange et de Marigny prennent ensuite successivement la parole.

Monsieur de Fontange, après avoir déclaré que nul n’était plus que lui partisan en principe de l’institution de l’école des enfants de troupe se demande si la ville des Andelys est bien en état de faire les sacrifices qu’on lui demande. A ces sacrifices il n’y aura, dit-il, aucune compensation. C’est à tort que l’on pense que l’école d’enfants de troupe sera compensée, que le vin par exemple destiné à la consommation de cette école donnera lieu à une perception quelconque car, dans toutes les casernes il y a une cantine, cantine qui est exemptée de droits d’octroi. Quant au chemin de fer, continue monsieur de Fontanges, c’est une illusion de croire que l’école d’enfants de troupe pourra donner lieu à un mouvement suffisant pour engager la Compagnie de l’Ouest à créer la ligne de Saint Pierre aux Andelys.

Monsieur le maire objecte qu’il dépend du conseil municipal seul de déterminer les limites de l’octroi et qu’il ne pense pas que le gouvernement républicain installera des cantines dans les écoles à créer et qu’enfin il apparaît aux yeux de tous les gens les moins crédules que la construction du chemin de fer s’impose pour un pays doté d’un service national.

Monsieur de Marigny après M. de Fontanges s’effraie des charges énormes qui vont peser sur la ville des Andelys. « La ville des Andelys si elle accepte les conditions du ministre de la Guerre, va épuiser, dit-il, toutes les ressources disponibles. Que restera-t-il pour les autres travaux à faire dans l’intérieur de la ville, travaux dont l’urgence est moins contestable et moins contestée que celle de l’école d’enfants de troupe »

Plusieurs rappellent à monsieur de Marigny qu’au contraire l’école d’enfants de troupe est demandée presque universellement dans la ville, que la pétition déposée sur le bureau du conseil en fait foi.
         
Monsieur de Marigny reprend son argumentation en disant qu’il ne s’arrête pas à de semblables choses, la pétition à ses yeux n’ayant aucune valeur.
         
Monsieur Millard prend la parole ; il constate que la question de l’école d’enfants de troupe a été depuis assez longtemps commentée, discutée, approfondie, aussi bien dans le public que dans le sein de cette assemblée pour que tout le monde soit fixé sur la véritable portée du vote que va émettre le conseil. Il lit au hasard les noms de plusieurs signataires de la pétition, messieurs Godart, Cavelier, Waldemann, Bigné, Laurent, Lainey, Laubrayt, Oin-Canivet, Billon, Dubuc et tant d’autres honorables commerçants, officiers ministériels ou propriétaires, etc. dont les caractères et les noms donnent à eux seuls la mesure de la considération que mérite la pétition en question.

Monsieur Dujardin proteste contre l’abus du droit de pétitionnement. Monsieur Fessard dit : « la pétition, c’est le mandat impératif». Monsieur le maire répond que le droit de pétitionnement est un droit inscrit dans nos lois, que l’envoi d’une pétition ne constitue pas comme on l’a dit un mandat impératif, qu’il y a cette nuance entre la pétition et le mandat impératif : l’une étant une simple indication et l’autre une injonction. La pétition tout en laissant le mandataire libre de voter selon ses idées et sa conscience a pour effet de lui indiquer la voie qu’il serait agréable à son mandant de lui voir suivre. Monsieur Fessard dit que les centimes additionnels à payer pour la création de l’école d’enfants de troupe grèveront surtout la culture.

A cette assertion monsieur le maire répond en disant qu’il est temps de détromper le public à qui l’on répète à tort et à travers que les impôts créés par l’administration municipale retombent sur la population agricole et qu’il va pour cela se servir de documents authentiques. Il dit que la culture traverse évidemment une période critique et que nul plus que lui ne déplore la situation actuelle mais que, dans l’affaire qui occupe spécialement le conseil, il est absolument inexact et absolument injuste de dire que la culture supportera plus que le propriétaire ou le commerçant les charges qui pourraient résulter d’un vote affirmatif du conseil. En effet aux Andelys, la propriété non bâtie ?? par an, 31 992,16 Fr la propriété bâtie et on voudra bien admettre qu’il se trouve dans les agglomérations du Petit et du Grand Andely plus de constructions que dans le reste de la commune, 29 371,65 Fr. La contribution personnelle mobilière fournit 24 247,29 Fr et l’impôt des portes fenêtres qui se prélève surtout sur les agglomérations 19 028,17 Fr. L’impôt des patentes fournit à lui seul une somme égale à
2 000 Fr près à l’impôt fourni par la culture 28 980,28 Fr total général des impôts 133 569,59 Fr. Il faut ajouter à cela les charges de l’Octroi qui ne pèsent que sur les agglomérations et qui s’élèvent à 30 000 Fr par an en moyenne fournis par les seuls commerçants. On peut donc affirmer sans démenti possible que le commerce seul sera chargé trois fois plus que la culture par les impôts à créer.

Monsieur Julien déclare s’adjoindre aux conclusions du rapport de la commission, bien convaincu, dit-il, que la conséquence immédiate et inévitable de la création de l’école d’enfants de troupe, ce sera la construction du chemin de fer qui donnera au pays une nouvelle vie et une nouvelle prospérité au commerce local.

Monsieur Gérard demande la clôture ; elle est prononcée sans opposition. Monsieur Lacire demande l’appel nominal. Le conseil adoptant les conclusions du rapport de monsieur Contant prend la délibération suivante :

Le conseil municipal :
donne acte à monsieur le maire du dépôt des pétitions signées par les habitants de la ville
et vu :
la 1ère délibération en date du 14 octobre 1882 par laquelle à l’unanimité il a décidé de demander au gouvernement la création aux Andelys d’une école d’enfants de troupe,
une autre délibération en date du 19 avril 1883 ,
la pétition adressée à monsieur le maire des Andelys par plus de 700 habitants de la ville,
la lettre de monsieur le lieutenant-colonel directeur du Génie à Rouen en date du 29 décembre dernier,
vu aussi la situation financière particulièrement favorable de la ville, considérant :
qu’il entre dans les vues de la majorité de la population de s’imposer tous les sacrifices nécessaires afin d’obtenir de monsieur le ministre de la Guerre et des pouvoirs publics une école d’enfants de troupe aux Andelys dans le territoire soumis à l’octroi,
que l’État tiendra certainement compte à la ville des Andelys de son désintéressement en faveur d’un établissement national,
qu'il y a donc lieu d’espérer que la mise en œuvre des travaux du chemin de fer devant relier les Andelys à la ligne de Paris à Rouen suivra de près celle des travaux de l’école,
que le gouvernement dans le but d’assurer les relations de l’école à créer avec les services dont elle dépendra, n’hésitera pas à demander à la Compagnie de l’Ouest le réalisation des engagements pris par elle en ce qui concerne la ligne des Andelys à St Pierre du Rouvray,

Après en avoir délibéré :
vote la création aux Andelys d’une école d’enfants de troupe  aux conditions indiquées par la lettre de monsieur le lieutenant colonel directeur du génie à Rouen en date du 29 décembre 1883, en conséquence :
vote la subvention de 600 000 Fr demandée par monsieur le ministre de la Guerre
s’oblige :
- à acquérir à l’amiable ou par voie d’expropriation de qui il appartiendra le terrain nécessaire pour l’installation complète de la dite école
- à payer le prix dudit terrain.
Ce terrain sera ultérieurement désigné à la municipalité par le génie militaire.

Pour faire face à la dépense qu’il vient de décider, vote une imposition extraordinaire de 25 cent à ajouter au principal des quatre contributions. Cette imposition sera d’une durée égale à l’amortissement de la dette. La somme nécessaire pour ledit amortissement sera complétée annuellement tant d’un prélèvement sur les ressources ordinaires de la ville qu’au moyen d’une surtaxe sur différents articles de perception de l’octroi et de la taxe qui sera établie sur certains articles non imposés. Lesquelles taxes et surtaxes seront déterminées dès que les conventions définitives avec l’État auront été signées.

Autorise monsieur le maire à emprunter au taux le plus avantageux pour la ville et avec amortissement annuel pour une durée qui ne devra pas excéder 50 ans
- la somme de 600 000 Fr égale à la subvention demandée par monsieur le ministre de la Guerre
- celle nécessaire pour payer le prix du terrain à acquérir pour l’installation de l’école ;

Charge monsieur le maire de demander de préférence à l’État de faire l’avance des dites sommes que la ville rembourserait au moyen d’annuités comprenant à la fois l’intérêt et l’amortissement du capital ;

Délègue à monsieur le maire tous les pouvoirs les plus étendus tant aux effets ci-dessus qu’à l’effet de signer avec monsieur le ministre de la Guerre ou qui de droit toutes les conventions destinées à régler les obligations respectives de la ville des Andelys et de l’État ;

Déclare s’en rapporter à cet égard au soin qu’il prend des intérêts de la ville.

Les résolutions ci-dessus ont été adoptées à la majorité de treize voix contre six.
Ont voté pour : MM. Boulay, Bizet, Millard, Morsent, Contant, Jullien, Lemerre, Lamer, Gérard, Monton, Montaillé, Lelièvre, Lacire ; ont voté contre : MM. Queudray, de Fontange, Dujardin, Lemoine, Fessart, de Marigny. A la suite de ce vote, le conseil municipal exprime le vœu que le conseil général voudra bien lui venir en aide par une subvention.

Compte rendu du Conseil municipal


La fin des enfants de troupe dans les régiments.
La construction des écoles d’enfants de troupe actuellement pendante donne un grand intérêt d’actualité à l’article du Petit Journal intitulé « Les enfants de troupe ». C’est à ce titre que nous reproduisons cette étude :

« Si les  questions, les interpellations et discussions imprévues ne s’y opposent pas, la Chambre des députés sera appelée avant peu à résoudre la question des enfants de troupe. En 1832 une ordonnance royale a réglé la situation des enfants de troupe, situation modifiée par un décret du 22 mai 1858, par la loi du 13 mai 1875, par celle du 5 avril de la même année portant organisation de l’école de Rambouillet, par quantité de lettres collectives, circulaires, prescriptions qui conformément à la formule réglementaire vont être abrogées par la loi dont le projet a le pas sur ceux du recrutement et de l’avancement. Les enfants de troupe ont toujours été divisés en deux catégories, l’une comprenant les fils légitimes des soldats et des sous officiers, l’autre ceux des officiers jusqu’au grade de capitaine. Des places ne sont concédées à la 2e catégorie qu’à défaut de candidats de la seconde ?? . Le nombre ne peut pas excéder le tiers de l’effectif réglementaire. Les enfants ayant leur père dans l’armée peuvent être nommés à 2 ans, rester dans leur famille jusqu’à l’âge de 10 ans. Dès leur arrivée au régiment, ils sont placés sous la direction du major et la surveillance d’un caporal ou d’un sous officier. Ils couchent dans une chambre à part, prennent généralement leurs repas en dehors de l’ordinaire ; aujourd’hui ils ne suivent plus les cours des écoles réglementaires mais ceux du lycée ou du collège de la garnison. A 15 ans, ils doivent être employés comme clairons, tambours ou trompettes  ou bien secrétaires dans les bureaux. A 18 ans, ils sont admis de droit à contracter un engagement volontaire s’ils remplissent les conditions voulues. Les généraux de division nomment les enfants de la première catégorie, les commandants de corps d’armée ceux de la seconde.

Le gouvernement et la commission de l’armée semblent être d’accord pour modifier cette institution ; avec raison on peut aujourd’hui louer les établissements où ces jeunes gens recevront les développements d’une instruction militaire. Nous sommes de l’avis du général Trochu en ce qui concerne la nécessité de débarrasser les régiments des enfants de troupe. Mais nos considérants n’ont rien de commun avec ceux qui rendent responsables les corps de troupe de la « flétrissure des âmes, de l’émancipation des esprits, des désordres de la jeunesse, du déclassement de l’âge mûr », allant même jusqu’à dire que c’est à ces corps de troupe qu’il faut attribuer « l’étiolement des marques de constitution scrofuleuse, de rachitisme » que l’on constate, paraît-il encore, chez les fils de militaires. Nous avons et pour cause une autre opinion de l’armée. Aussi nous protesterons contre l’opinion qui fait d’une caserne un lieu de dépravation, une sorte de léproserie dont on cherche à écarter la jeunesse.

Nous affirmons que le casernement offre de nos jours des garanties exceptionnelles d’hygiène. A tous les degrés de la hiérarchie, chaque chef porte une attention particulière à l’état moral de ses subordonnés, s’applique à développer chez eux le sentiment du devoir, de l’honneur et du dévouement à la Patrie. Les anciens enfants de troupe qui servent aujourd’hui dans l’armée - beaucoup portent les grosses épaulettes, quelques uns des étoiles - sont là comme une protestation éclatante contre les accusations dont le système actuel a été l’objet. Leur aptitude professionnelle, leurs qualités physiques suffisent pour répondre de la bonne constitution du régime auquel ils ont été soumis. Il est nécessaire d’établir une réforme dans l’éducation de la jeunesse militaire. On doit chercher à l’enrôler sous le drapeau qu’elle considère, selon l’expression de l’auteur que nous avons cité, comme le préliminaire honorable et en quelque sorte le marchepied d’une carrière ultérieure devant être pour l’âge mûr l’instrument de l’activité productive, pour la vieillesse la sécurité.

Après avoir rendu un hommage à l’organisation qui est appelée à disparaître, nous avons la conviction que la création des écoles est la meilleure solution à donner au problème ayant pour but de créer un fond permanent d’éléments préparés pour le recrutement des cadres inférieurs qui seront alors assurés d’une considération qui leur fait quelquefois défaut. Il faut espérer que le gouvernement et la chambre tomberont d’accord sur ce point et que les municipalités ayant réclamé le privilège de posséder ces écoles tiendront généreusement leurs promesses ».


Impartial 31 janvier 1884 


Et chez les Allemands ?
La question des écoles d'enfants de troupe est à l’étude. La suppression des enfants de troupe affectés aux différents corps de l’armée et la création d’écoles militaires préparatoires pour les futurs sous-officiers sont des mesures demandées depuis longtemps par l’opinion publique. Aussi ne peut-on s’étonner que le ministre de la Guerre ait donné la priorité au projet de loi militaire concernant cette question qui sera prochainement résolue par le Parlement. Tout le monde connaît les inconvénients du système qui est actuellement en vigueur pour élever les enfants de troupe. Il crée de sérieux embarras dans les régiments tout en ne fournissant que des résultats médiocres au point de vue du recrutement des sous-officiers. En outre, il fait vivre à la caserne, dès l’âge de 10 ans, des enfants qui, bien souvent, ont sous les yeux des exemples fâcheux.

Depuis longtemps, les Allemands ont reconnu ces inconvénients qu’ils ont fait disparaître dans leur armée en créant des écoles de sous-officiers-élèves. Celles-ci reçoivent des jeunes gens vers l’âge de 16 à 18 ans, gratuitement mais à la condition qu’ils contracteront un engagement de 9 ans récemment réduit à sept années. Après un séjour de trois ans à l’école, vers l’âge de 20 ans, les élèves rentrent dans les régiments avec le grade de chef d’escouade correspondant à peu près à notre grade de caporal quoique donnant le grade de sous-officier. En France nous avons fait un essai de ce genre, c’est l’école des enfants de troupe à Rambouillet laquelle fonctionne depuis une dizaine d’années mais les enfants y sont reçus trop jeunes et n’ont aucun engagement ferme vis-à-vis de l’État. Aussi les résultats fournis par l’école d’essai de Rambouillet ont-ils été jusqu’à présent peu favorables auprès de ceux du recrutement des sous-officiers. Le système allemand paraît bien préférable et nous devons tenir compte dans l’organisation que nous projetons des résultats pratiques déjà obtenus par nos voisins de l’est. Ils ont reconnu l’importance de l’âge chez celui qui détient l’autorité, même celle du grade de chef d’escouade. Voilà pourquoi en Allemagne, ce grade n’est confié qu’à 20 ans aux jeunes gens sortant des écoles de sous-officiers. Ils ont reconnu en outre que c’était surtout aux régiments qu’on apprenait à conduire les subordonnés. Aussi les écoles ne fournissent-elles annuellement qu’un millier de chefs d’escouade, soit à peu près le cinquième des vacances qui se produisent dans les régiments allemands. Les 4 autres 5e de ces vacances sont remplis par des rengagés de la dernière classe libérée c’est-à-dire par des hommes de 23 à 24 ans qui ont ainsi sous leurs ordres des soldats plus jeunes qu’eux.

Voici maintenant quelles sont les principales dispositions du projet de loi soumis aux chambres par le gouvernement français :

On laisse l’enfant de troupe dans sa famille jusqu’à l’âge de 12 ans en allouant aux parents une indemnité annuelle. On l’élève ensuite aux frais de l’État pendant 5 ans dans une école militaire préparatoire destinée à servir de pépinière pour nos sous-officiers. Les trois premières années seront consacrées à compléter l’instruction militaire et à développer les forces physiques. Les deux dernières à acquérir l’instruction militaire nécessaire aux cadres inférieurs. Les élèves seront tenus de contracter à l’âge de 16 ans un engagement volontaire de cinq ans qui ne comptera qu’à partir de l’âge de 17 ans. Ils entreront comme soldats dans un régiment à la fin de leurs études et ils pourront être promus au grade de caporal après trois mois de stage et à celui de sous-officier après trois mois de grade de caporal. L’admission dans les écoles militaires préparatoires sera réservée non seulement aux fils de sous-officiers et assimilés, caporaux, brigadiers et soldats, mais encore en vertu d’un amendement de la commission de l’armée, aux enfants des officiers et assimilés. En outre, les fils des douaniers, forestiers etc. seront également acceptés comme enfants de troupe. On a reconnu que dans ces conditions, il convenait de créer six écoles militaires préparatoires pouvant recevoir chacune un effectif maximum de 500 élèves. Quatre de ces écoles seront destinées à l’infanterie, une à la cavalerie et la dernière à l’artillerie et au génie.

Le ministre de la Guerre a reçu des propositions nombreuses des municipalités qui désirent prendre à leur charge les frais d’installation dont il s’agit. Parmi les villes dont les propositions paraissent acceptables, nous citerons, Bourges, Rambouillet, Pezenas, Alais, Montreuil, Yzeurre, Bayeux et les Andelys. Des conventions ne pourront être conclues avec ces villes qu’après le vote de la loi actuellement soumise aux Chambres. Il n’est alors à prévoir aucune dépense nouvelle. L’économie résultant de la suppression des enfants de troupe dans les corps compensera les dépenses nécessitées par la création des six écoles précitées. Toutefois, au dernier moment on a constaté qu’une somme de 400 000 Fr - et non de 800 000 Fr comme on l’a dit - serait nécessaire en sus des prévisions pour l’achat de chevaux, de livres de classe, cartes murales, de modèles etc. On compte que cette dépense supplémentaire pourra être couverte en partie par les offres des villes dans les conventions à intervenir.

En résumé, le projet de loi des écoles militaires préparatoires dont l’honorable monsieur Ballue a été le rapporteur, présente des avantages incontestables sur l’état de choses actuel. Nous regrettons cependant que les enfants ne soient pas pris seulement à l’âge de 14 ans pour faire quatre années d’études et contracter à partir de 18 ans un engagement de six années au lieu de cinq. Des caporaux de 18 ans et 3 mois pouvant devenir sous-officiers avant 19 ans nous paraissent bien jeunes. Admis aux écoles de St Maixent et de Versailles à 19 ans, un certain nombre deviendront officiers à 20 ans, par conséquent avant les élèves de St Cyr ou de Polytechnique. Ce n’est pas là ce qu’on a voulu et c’est pourtant ce qui se produira si la limite inférieure d’âge pour obtenir le grade de caporal n’est pas portée au moins à 18 ans La pâte dont on fait le soldat est bonne et – il faut le dire bien haut- elle est supérieure à ce que les Allemands appellent leur « matériel vivant » (lebendesmaterial) Ce sont surtout les bons cadres inférieurs qui nous manquent. Les écoles projetées continueront à les améliorer en développant chez nous l’esprit militaire, c’est-à-dire les idées de discipline, de devoir et de dévouement qui font la force des armées.

Le commandant J.Richard 

L'Impartial 10 février 1884. 

Le général Cornat.
Nous trouvons dans Le Figaro la notice suivante sur le général Cornat, commandant en chef du 3e corps d’armée à Rouen. Chacun sait ici que l’école d’enfants de troupe en projet sera sous le commandement du général Cornat.  

Le général Cornat :
Dans sa jeunesse, il fut « pipot » Mais il est probable qu’il rêvait d’autres romans que ceux qui éclosent dans les bâtiments sombres de la rue Descartes sur les confins de la docte montagne Ste Geneviève. Les X eurent beau lui faire les yeux doux, il demeura froid à leur coquetterie. Il échangea en effet l’Ecole polytechnique pour l’Ecole de Saumur et au lieu d’un médiocre ingénieur fit un excellent officier de cavalerie.

Le général Cornat a 60 ans. Il s’est conservé très jeune, mince, alerte, infatigable à cheval et est resté en possession, sinon de ses cheveux, du moins de tous ses moyens. Comme cavalier, il possède à fond toutes les connaissances hippologiques nécessaires à l’homme de cheval en général et particulièrement au cavalier de guerre. C’est sur le terrain un officier de grand élan, impétueux, entraînant, chargeant comme il convient à la tête de ses escadrons et ne permettant pas qu’on lui dispute l’honneur afférant à son grade d’être le premier au choc et au danger. C’est en un mot un véritable général de cavalerie. Il a longtemps servi aux chasseurs d’Afrique où il a laissé des souvenirs de vigueur et d’intrépidité.


Capitaine en 1852, chef d’escadron sept ans plus tard, il était colonel du 4e dragons à Lille lorsqu’éclata le guerre de 1870. A la bataille de Rézonville, 16 août, au moment même où le brave général de Clérambaut venait sur le plateau et que tout semblait perdu, le colonel Cornat, après avoir traversé le profond ravin qui séparait sa position de celle de l’ennemi, enleva vivement son premier escadron aux cris de «  A moi, dragons » sabrant les cuirassiers de la Garde royale prussienne et les obligeant à battre en retraite sur Mars la Tour.

Cette journée fut du reste une des plus sanglantes de la campagne.

« Ce n’était plus une attaque, dit le général  Bonie dans son livre sur la cavalerie française en 1870, ce n’était plus un combat, mais une mêlée vertigineuse, un tumulte furieux, une sorte de tourbillon dans lequel 6 000 cavaliers de toutes couleurs, de toutes armes, s’égorgeait indistinctement les uns avec la pointe, les autres avec le tranchant. Nos malheureux lanciers de la Garde furent pris à cause de leur veste bleue pour des dragons prussiens et massacrés sans pitié au milieu des coups de pistolet et du choc des armes se heurtant les unes contre les autres. On distinguait les cris de «  Ne nous frappez pas, nous sommes Français », « Pas de quartiers » leur répondaient nos dragons et pensant que c’était une ruse de l’ennemi pour les arrêter, ils frappaient toujours.

Il était près de 10h du soir quand l’action cessa sur tous les points. Un profond silence s’étendait alors sur ce large plateau abreuvé de tant de sang où depuis 9 heures du matin, la mort avait fait une si riche moisson. Les pertes de cette bataille de 12 h furent énormes de part et d’autre. De notre côté 16 122 hommes, 837 officiers avaient été mis hors de combat. Nous avions fait des prisonniers et la route de Mars la Tour était rouverte. Les Allemands, eux, avaient perdu 711 officiers, 1079 hommes et 273 chevaux ».

A son retour de captivité, le colonel Cornat fut nommé général de brigade et envoyé d’abord à Lille puis à Verdun.

En 1875, il reçut la 3e étoile et alla prendre à Lunéville le commandement de la
2e division de cavalerie faisant partie des troupes du 6e corps. Quelque temps après, il fut appelé au commandement du 4e corps d’armée au Mans. Aujourd’hui, il est à la tête du 3e corps à Rouen. Lorsque ce grand rassemblement du 6e corps devint vacant, par suite de la mort du général Douai, il fut un moment question du général Cornat comme titulaire. Il est grand officier de la Légion d’honneur. 

L'Impartial 17 février 1884.


La mise en œuvre administrative.
Par décision ministérielle, monsieur le capitaine du Génie Passelergue, a été désigné pour diriger les travaux de construction de l’école des enfants de troupe des Andelys. 

L'Impartial 3 avril 1884. 

L’école d’enfants de troupe aux Andelys.
Lundi 5 mai, les officiers du Génie viendront prendre le plan exact et le nivellement du terrain sur lequel doit s’élever l’école d'enfants de troupe. 

L'Impartial 4 mai 1884. 

Les travaux préparatoires sur le terrain.
République française, département de l’Eure, ville des Andelys, installation d’une école d’enfants de troupe.

Le préfet du département de l’Eure,
Vu la dépêche du Moniteur. le ministre de la Guerre, en date du 18 mars dernier à monsieur le directeur du Génie à Rouen prescrivant l’étude de détail de l’installation d’une école d’enfants de troupe aux Andelys en prenant pour base l’emplacement proposé et reconnu sur place par monsieur le général commandant le 3e corps d’armée,
Vu la demande présentée le 6 mai courant par monsieur le chef de bataillon chef du Génie à Evreux pour obtenir de pénétrer sur les propriétés où l’emplacement a été choisi afin de procéder à l’étude du détail et représenter sur le papier la forme et les contours du terrain,
Vu les lois du 28 pluviose an VIII et 16 septembre 1807 et l’article 438 du code pénal, arrête,

Article1 :  Monsieur le chef de bataillon, chef du Génie à Evreux et les agents placés sous ses ordres sont autorisés à s’introduire dans les propriétés publiques ou privées, closes ou non closes, à l’effet de procéder à toutes les opérations de levée des plans, sondages, nivellement et autres relatives à l’installation d’une école d’enfants de troupe aux Andelys. Ces opérations s’exécuteront sur le territoire de la commune des Andelys. Les agents du Génie devront être munis d’une commission signée de monsieur le chef de bataillon chef du Génie à Evreux.
Article 2 : Lorsqu’il sera indispensable de faire des percées dans les clôtures, d’abattre les plantations ou de causer tout autre dommage, les personnes désignées à l’article précédent en préviendront les propriétaires ou leurs représentants sur les lieux et règleront immédiatement avec eux l’indemnité à payer pour ce fait.
Si cette indemnité ne peut être fixée à l’amiable, elle sera ultérieurement réglée par le conseil de préfecture après expertise contradictoire conformément à la loi du 28 pluviose an VIII et aux articles 56 et 57 de la loi du 16 septembre 1807. Dans tous les cas, aucun retard ne devra être apporté aux opérations. En cas de refus de la part des propriétaires de laisser pénétrer dans les propriétés les personnes ci-dessus autorisées, ces dernières requerront l’intervention du maire qui devra leur prêter l’appui de son autorité.
Article 3 : Il est expressément défendu d’enlever les piquets ou jalons, de détruire les repères placés par les hommes de l’art, de causer aucune espèce de trouble dans les opérations dont il s’agit.
Article 4 : Monsieur le maire des Andelys est chargé d’assurer l’exécution du présent arrêté qui sera publié et affiché.
Evreux le 7 mai 1884. Le préfet de l’Eure, Jules Barrème

Impartial 11 mai 1884.
Une inquiétude sans fondement.
Beaucoup de nos concitoyens se sont émus de plusieurs articles de journaux sur les enfants de troupe et notamment de cette note publiée ces jours derniers :
« La commission relative à la suppression des enfants de troupe s’est réunie mardi sous la présidence de monsieur de Freycinet. Elle a entendu et approuvé le rapport du général Billot qui conclut à l’adoption du projet avec quelques modifications de détail et qui a été déposé au cours de la séance ».
Ils ont cru par cette lecture que la construction de l’école des Andelys est en péril ; il n’en est rien. Il s’agit au contraire d’enlever aux régiments les enfants de troupe afin de les grouper dans les écoles spéciales, la création d’un de ces établissements aux Andelys a donc plus que jamais sa raison d’être.

 L'Impartial 1 juin 1884.  

Des nouvelles dispositions pour les enfants de troupe.
Au début de la séance, la Chambre a voté sans discussion le projet modifié par le Sénat sur les écoles militaires préparatoires. Ce vote fait passer le projet à l’état de loi prête à être promulguée. Au terme de la loi nouvelle, les fils des soldats, caporaux ou brigadiers, sous-officiers, officiers jusqu’au grade de capitaine inclusivement ou assimilés admis en qualité d’enfants de troupe sur la proposition d’un conseil d’administration des corps seront désormais laissés dans leur famille jusqu’à l’âge de 13 ans. Ils ne toucheront plus de ration de vivres mais leurs familles recevront des allocations variant de 100 à 180 Fr suivant l’âge des enfants. Il sera créé six écoles militaires préparatoires, quatre pour l’infanterie, une pour la cavalerie, une pour l’artillerie et le génie. Les enfants devront avoir 13 ans révolus et moins de 14 ans au 1er août de l’année de leur admission dans ces écoles. Ils sont appelés à contracter un engagement dont le terme est déterminé par la date de l’expiration légale du service dans l’armée active de la classe à laquelle ils doivent appartenir par leur âge. L’élève engagé entre dans l’armée comme soldat ; celui qui refuse de s’engager est immédiatement rendu à ses parents. Le ministre de la Guerre est autorisé à exercer soit sur leur traitement soit sur les ressources personnelles de l’enfant une répartition égale à la moitié des frais d’entretien payés par l’État.

Au moment de leur création et à titre de disposition transitoire, les écoles militaires préparatoires recevront à la fois cinq classes d’élèves de 13 à 17 ans qui entreront successivement dans l’armée après une, deux, trois, quatre ou cinq années d’études. Cet ensemble de mesures est propre, plus que l’institution des enfants de troupe, à préparer le bon recrutement d’une partie des cadres

L'Impartial du 13 juillet.
Dernières escarmouches au conseil municipal.
La séance ouverte, monsieur E. Mouton donne lecture de son rapport duquel il résulte que la commission choisie par le conseil propose à l’unanimité : une imposition de 0,31 cent pendant 30 ans à compter du 1er janvier 1885 à ajouter au principal des 4 contributions. Cette imposition constituerait une augmentation de 16,66 Fr sur les impôts actuels et une majoration des perceptions d’octroi qui produirait annuellement d’après les calculs sérieusement établis 16 349 Fr.

La parole est d’abord donnée à monsieur Mettais-Cartier qui combat les conclusions de ce rapport et qui s’efforce de démontrer au conseil l’énormité des charges qui pèseront sur la ville sans aucune compensation car, à ses yeux, les promesses purement officieuses qui ont été faites pour la construction du chemin de fer, n’ont aucune valeur.

Monsieur Millard, adjoint, répondant à monsieur Mettais-Cartier rappelle tout d’abord au conseil qu’il ne s’agit pas de voter aujourd’hui l’école d’enfants de troupe  – que le conseil municipal a voté cette école, qu’il a même dans sa délibération du 5 juillet 1884 indiqué d’une façon générale quels seraient les moyens financiers à employer pour faire face aux engagements que le conseil municipal prenait vis à vis de l’État et qu’il a chargé monsieur le maire de réaliser ces engagements dans une convention par laquelle il lui a délégué les pouvoirs les plus étendus. C’est en vertu de ce mandat qu’a été signée la convention du 22 janvier 1884. « Voudrait-on par hasard, demande monsieur Millard, revenir sur une signature donnée ? »

Entrant dans les détails de la question, monsieur Millard s’applique à démontrer au conseil les avantages de la combinaison financière proposée par la commission.

Monsieur Mettais-Cartier a de nouveau la parole et émet cette théorie qu’en matière administrative une signature donnée n’a pas la même importance, la même immuabilité que dans la vie civile ordinaire, que si la convention a été signée, le conseil s’est réservé de déterminer les moyens financiers propres à en assurer l’exécution et qu’il lui paraîtrait naturel qu’à ce moment, la réflexion aidant, en présence des lourdes charges dont il va grever la ville, il recule et revienne sur ce qu’il a fait.

Monsieur Fenaux réplique à monsieur Mettais-Cartier et procure au conseil municipal la jouissance d’entendre un véritable morceau oratoire :
Il s’occupe tout d’abord de la nuance que son honorable collègue veut faire entre la signature d’un particulier et la signature collective d’un conseil municipal « Il n’y a qu’une sorte d’honneur, dit l’orateur et un conseil municipal aussi bien qu’un particulier engage son honneur par la signature donnée. Il serait aussi honteux de laisser protester la signature d’une ville qu’il est déshonorant pour un homme de faillir contre la sienne ».

Monsieur Fénaux croyait l’accord fait sur la question de l’école d’enfants de troupe. Le suffrage universel n’a-t-il pas parlé en effet et les dernières élections municipales – personne n’osera dire le contraire - n’ont-elles pas eu pour plate-forme cette question même ? Les électeurs andelysiens n’ont-ils pas signifié leurs intentions, n’ont-ils pas manifestement approuvé l’ancien conseil municipal qui a voté l’école d'enfants de troupe en renvoyant l’ancienne majorité au complet ou à peu près siéger sur les mêmes bancs ? Et parmi les membres de la minorité, celui qui arrive le premier n’est-il pas celui qui, seul, s’est rallié au sentiment de la majorité ?

Monsieur Fénaux adresse un éloquent appel au patriotisme du général de Fontanges qu’il voit à sa grande surprise opposé à la création d’un établissement national dont personne parmi les hommes spéciaux n’a contesté l’utilité et l’urgence militaire. Il estime que le tassement se fera dans les idées et que le scrutin qui va avoir lieu doit réunir l’unanimité des voix du conseil sans distinction de drapeau politique.

Messieurs de Fontanges et Mettais-Cartier demandent successivement la parole :
monsieur de Fontanges affirme que l’on ne s’est jamais adressé en vain à son patriotisme, qu’il n’a jamais hésité quand il s’est agi(t) de rendre service à la France mais que, dans la question de l'école d'enfants de troupe, il s’est séparé du sentiment de la majorité du conseil ; il s’est expliqué et a donné des raisons qui ne peuvent laisser aucun doute sur son dévouement au Pays et sur l’intérêt qu’il porte aux enfants de troupe.

Monsieur Mettais-Cartier dit que chaque conseiller se fait un point d’honneur de remplir fidèlement le mandat qu’il a reçu de ses électeurs, que c’est à tort que monsieur Fenaux a introduit la politique dans le débat et que, pour lui, c’est sans aucune arrière pensée politique, sans vouloir pour cela non plus combattre la municipalité envers laquelle il professe la plus entière sympathie qu’il a cru devoir émettre son opinion en adjurant le conseil municipal de répudier cette affaire et d’éviter la ruine qui en sera la conséquence. Ah ! si le chemin de fer se faisait en même temps que l’école d’enfants de troupe, monsieur Mettais-Cartier la voterait, aveuglément, sans hésitation. Mais on n’a jamais fait depuis 20 ans pour les Andelys (attrape en passant pour ton beau-père) et le chemin de fer des Andelys restera longtemps encore à l’état de projet.

Monsieur Lelièvre, reprenant l’argumentation de Mettais-Cartier demande où sont les tableaux de suppléments de droits d’octroi visés dans le rapport (ils sont sous ses yeux). Monsieur Lelièvre demande aussi à la municipalité si elle peut affirmer officiellement que le chemin de fer aura lieu en même temps que l’école d’enfants de troupe. « Oui, s’écrie monsieur Dumesnil, avec le calme que nous lui connaissons. Monsieur le maire a promis le chemin de fer en même temps que l’école d’enfants de troupe, c’est dans la dernière délibération ». Pour apaiser le terrible conseiller général, le maire ouvre le registre des délibérations, le fait passer à monsieur Dumesnil qui le lit, referme soigneusement et trouve sans doute qu’il n’a plus rien à dire.
         
Monsieur le maire amené à s’expliquer sur la question du chemin de fer dit qu’il n’a jamais donné et qu’il ne donnera jamais d’autres affirmations que celles qu’il a reçues  – assurance purement officieuse, il est vrai - mais puisqu’il est permis de faire part à une assemblée de convictions intimes, la sienne, absolument contraire à celle de monsieur Mettais-Cartier, c’est que le chemin de fer suivra de près s’il n‘accompagne pas l’école d’enfants de troupe ; et cette conviction, dit monsieur le maire, est basée non seulement sur les entretiens que j’ai eus avec tel ou tel membre de l’Administration mais encore sur la simple logique des faits. On traite d’enfantillage cet argument mis en avant par monsieur Millard que les officiers instructeurs ou autres qui voudront visiter l’école n’obtiendront pas plus par leurs plaintes et leurs doléances dans les ministères que n’ont obtenu toutes les administrations passées ou actuelles de la ville des Andelys - mais on ne peut pourtant pas laisser un établissement, une école, sans relation avec les services dont elle dépend, les familles sans communications avec l’extérieur ! - cela va de soi. Et puisqu’on a parlé tout à l’heure de déchirer le contrat qui existe maintenant entre la ville et l’État, croit-on que la chose - pour autant qu’elle soit admissible – soit aussi simple que l’a dit monsieur Mettais-Cartier ? Croit-on que l’État envers lequel on est bien et dûment engagé n’aurait pas par voie de décret le moyen de faire remplir à la ville les engagements qu’elle méconnaîtrait et d’imposer d’office les centimes destinés à faire face à la subvention votée dans la séance du 5 janvier 1884 ? Quand on parle de déchirer ce contrat, on n’a donc pas peur de représailles trop justifiées de la part de l’État ? Eh ! quoi, vous oseriez retirer la signature que vous avez donnée et vous viendriez solliciter pour notre chemin de fer celui à qui vous manquerez de parole ! Vraiment ! il faut voir les choses sous un tout autre aspect que leur aspect réel et vrai pour émettre de semblables théories. Quand la ville des Andelys sera imposée de 31 centimes que la commission vous propose de voter, elle sera imposée en tout de 57 centimes, y compris les centimes afférant à la construction des écoles du Petit Andelys. Eh ! bien, les impositions actuelles, dit l’honorable rapporteur de la commission, sont à Bouafles de 89 centimes, à Courcelles de 60 centimes, à Harquency de 48, à Notre Dame de Lille de 40, à Boisemont de 40 centimes. Est-on plus misérable dans ces communes qu’ailleurs dans le département ? La moyenne des impositions dans l’Oise est de 83 centimes par commune, en Seine-et-Oise, elle est de 92 centimes. Ce sont deux départements limitrophes. Y est-on plus malheureux qu’aux Andelys ? Non, dit monsieur le maire. Si tous, sans céder à des préoccupations étrangères, à des opinions déjà faites, voulaient se pénétrer de la vraie situation de la ville, de la valeur des engagements pris vis à vis de l’État, des résultats qui en découleront comme des conséquences que pourrait amener leur non-observation, personne n’hésiterait et le vote que prévoyait tout à l’heure monsieur
Fénoux serait unanime.
         
La clôture demandée par plusieurs membres est prononcée. On passe donc au vote sur les conclusions du rapport de M. Monton. Ont voté pour : MM. Bizet, Capelier, Millard, Fénoux, Jullien, Contant, Bigné Monton, Lacire, Lemerre, Dujardin, Gérard, Meursan, et Guignard de Marigny. Ont voté contre Queudray, Lelièvre, Lamer, de Fontange, Mettais –Cartier, Dumesnil et Fessart.

Comme on le voit, deux membres qui étaient passés aux dernières élections sur la même liste que la majorité l’ont abandonnée dans ce vote, ce sont MM. Queudray et Lamer. M. Lelièvre qui avait voté en faveur du projet, après l’avoir combattu comme l’on sait, vote contre. M.Lelièvre qui n’a qu’une parole, la retire pour s’en servir autrement. D’ailleurs les élections sont passées et il fallait bien s’attendre à cette évolution. M. de Marigny est de ceux qui croient que la signature d’une ville engage la ville, à la bonne heure, voilà un adversaire sérieux. En résumé, c’est une grosse question résolue par une majorité de deux tiers contre un tiers.

Les Andelysiens qui liront ce fidèle compte-rendu, pourront se rendre compte de la pauvreté et de l’inanité des arguments employés par les ennemis de l’école d’enfants de troupe et leur impression sera, comme la nôtre, qu’en votant l’école d’enfants de troupe, la majorité du conseil a bien mérité du pays.


Séance du conseil municipal du 2 juillet 1884.



Le terrain et les expropriations.
Le conseil du 6 septembre :
Le ministre de la Guerre ayant demandé si le terrain destiné à la construction de l’école d’enfants de troupe pouvait être mis à sa disposition, monsieur le maire s’est enquis auprès de monsieur Amaury, du Petit Andely, propriétaire de ce terrain, des conditions qu’il mettait à sa cession. En présence de demandes exorbitantes du propriétaire, le conseil a décidé à l’unanimité qu’il y avait lieu de recourir à l’expropriation. M. le Maire est ensuite chargé par le conseil de discuter les offres de l’entrepreneur chargé de la construction du pont d’Aragon avant sa réception définitive.
L'Impartial 14 septembre 1884.
« Ministère de la Guerre
Le président de la République française sur le rapport du ministre de la Guerre.
Vu la loi du 3 mai 1841, sur l’expropriation pour cause d’utilité publique,
Considérant que pour la construction d’une école d’enfants de troupe dans la ville des Andelys, il y a lieu d’acquérir diverses parcelles de terrain telles qu’elles sont fixées par une teinte verte sur un plan dressé le 27 septembre 1884 par le chef du Génie à Evreux et désigné dans un état parcellaire à l’appui, ci annexé,
Considérant en outre qu’il y a urgence à prendre possession de celles de ces parcelles qui ne sont pas bâties, décrète :

Article1. L’acquisition pour le service militaire des parcelles de terrain susmentionnées est déclarée(s) d’utilité publique
Article 2 : La prise de possession de celles de ces parcelles qui ne sont pas bâties est déclarée d’urgence
Article 3. Le ministre de la Guerre est chargé de l’exécution du présent décret

Fait à Paris le 26 octobre 1884
Signé Jules Grévy pour le président de la République 
Le ministre de la Guerre signé Campenon
Pour ampliation, le conseiller d’état directeur de la comptabilité et du contentieux. »


L'Impartial 6 novembre 1884


Jeudi 11 décembre.
Monsieur Léon Sevaistre, conseiller général de l’Eure et de plus inconnu dans ce pays, a fait distribuer samedi par l’intermédiaire d’une maison de publicistes de la ville, un opuscule portant ce titre : « Rapport présenté par M.L Sevaistre à la commission départementale sur le projet de création d’une école d’enfants de troupe aux Andelys ». Ce document n’aurait d’autre mérite que de constituer un procès de tendance dirigé à la fois contre le gouvernement, les ministres, l’Administration et le conseil municipal républicain des Andelys si des gens que l’on dit assez bien renseignés et assez malins d’ailleurs, ne répétaient que bientôt on saura le fin mot de l’histoire, en apprenant que le rapport de M. Sevaistre peut bénéficier aux amis du rapporteur et surtout au meilleur de ses amis. On ne sait pas encore si c’est au Sénat ou à la Chambre que Léon Sevaistre sera candidat. Dans quelques temps on vous dira cela. Tel est donc ce rapport étudié, sérieux, prudent et dogmatique ; ce serait le prélude de la bataille électorale. Je n’ai pas de conseils à donner – à mes adversaires surtout- mais comme chroniqueur je peux bien dire ma pensée sur ce qui se passe autour de moi. Eh ! bien j’avoue que si j’étais réactionnaire, ce n’est pas sur ce terrain que j’aurais engagé la lutte mais puisque la chose est jugée, archi-jugée (même électoralement) quand bien même M. Léon Sevaistre, conseiller général d’Amfreville, fulminerait à des milliers d’exemplaires, contre le conseil municipal et la municipalité des Andelys - cela n’y ferait ni chaud ni froid - or j’ai pour principe qu’il est inutile de se donner du mal pour rien. Si encore M. Léon Sevaistre, conseiller général d’Amfreville, pouvait confier sans miséricorde, aux soins d’un aliéniste tous les « idiots » (le mot a été prononcé au conseil municipal) qui composent la municipalité, le conseil municipal et les 800 signatures de la pétition qu’a provoquée le vote de cette assemblée. Mais baste, M. Léon Sevaistre ne se fait pas d’illusion, les Andelysiens sont incurables et pas un aliéniste n’en voudrait.

Laissons le conseiller général d’Amfreville à sa campagne. La solitude, l’air et les plaisirs des champs le reposeront un peu de son savant rapport, calmeront son désespoir, adouciront sans doute ses mœurs si peu miséricordieuses. On doit vivre là loin des autres humains, sans bruit, sans nouvelles de l’extérieur. C’est ainsi que le conseiller général d’Amfreville-la-Campagne ignore qu’en traitant si lestement dans le prospectus électoral qu’il a signé, ceux qui veulent une école d’enfants de troupe aux Andelys, ce n’est pas seulement à nous qu’il aura affaire. Simple idiot des Andelys, nous nous effacerons devant un collègue de M. Sevaistre au conseil général et nous laisserons la parole à M. Louis Passy pour « suivre heureusement » cette affaire comme il l’a promis dans une lettre que nous avons publiée à son heure. 


Document réalisé par Mlle Chêne en mai 2003, à partir des documents de la B.N.

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