1910 (2) : Croquis andelysiens, le Château Gaillard au soleil couchant, le fusil automatique, l'anti-alcoolisme dans l'armée, nos gendarmes, un coin des Andelys, tabac populaire, à propos des écoles d'enfants de troupe, les Andelys en fête, les enfants à l'usine, le concours des chansons militaires, les chaussettes des soldats, l'esprit militaire.

Mars

Croquis andelysiens, le Château-Gaillard au soleil couchant.
Au haut d'une colline où s'accrochent des rochers grisâtres, une masse de pierre dressée, des brumes violettes aux angles rentrants des vieilles tours, un donjon or et rose du côté du couchant: c'est le Château-Gaillard au crépuscule. Une Seine calme reflète en ses eaux lentes les vieilles maisons du quai, le château et ses falaises; et le fleuve qui s'en va là-bas vers les horizons lointains, tout empli de ces reflets, semble rouler un flot de légendes, tout un monde évanoui dont il ne va plus rester bientôt que le souvenir. Le Petit-Andely, blotti au flanc du coteau, noyé dans un brouillard lilas et or, fait plus précise encore cette image, et ce beau soir d'hiver est vraiment si évocateur du passé, si empli de la joie de vivre qu'on en garde comme une lassitude attendrie.
Mais la colline tente le voyageur. Le haut donjon l'attire comme un abîme; et dans la clarté radieuse du couchant il gravit la colline. Le voici à son sommet. A ses pieds la plaine s'étend, sillonnée par la courbe du fleuve, tout emplie de brume bleuâtre qui va se violaçant jusqu'aux collines lointaines au-dessus desquelles flamboie un ciel de rubis, de topaze et d'émeraude.
Voici la forteresse trapue, grave et grise. D'en bas, elle était magnifique, élancée, toute d'or et d'améthiste. De près, elle est lugubre. On frissonne en pénétrant dans ses murs. Peu à peu pourtant, la mélancolie délicieuse des choses qui furent saisit le voyageur passionné. Et dans le sombre donjon, non loin sans doute de l'endroit ou fut assassinée Marguerite de Bourgogne, amante malheureuse, son âme s'unit à l'âme mélancolique des ruines et quelque peu poète, le pélerin du passé songe ces choses:
Débris des siècles défunts, châteaux-forts ruinés suspendus aux flancs des coteaux, qu'éclairent les levers du soleil rose et les couchants d'or; villes de jadis estompées dans les brumes qu'encadrent encore des vivantes murailles aux tours massives, vous êtes par vos images conservées en nos cœurs et nos cerveaux, un coin mélancolique et rave évocateurs de songes et berceurs de rêves. Car des ruines se dégagent autre chose qu'une sentimentalité de jeunes anglaises neurasthéniques et de collégiens en vacances. Et en vain dans chaque ville, où demeure encore de la beauté de pierre, les ont banalisées bourgeoisement et étroitement les guides Jouanne et les Boedecker trop pratiques. Ces ruines ne peuvent en toute beauté n'être que le domaine de l'artiste pur et du rêveur poète. Elles font naître les belles œuvres et les belles philosophies: n'est-ce pas au milieu des ruines des temples grecs que Renan écrivit la prière sur l'Acropole?
Quel autre philosophe doublé d'un poète sur nos ruines grandioses de l'occident, vestiges d'une humanité plus âpre où il y eu en plus de souffrance et plus d'efforts, quel poète au crépuscule de nos soirs d'hiver, à l'heure où le ciel semble pleurer toutes les douleurs et toutes les mélancolies des existences qui sont et qui furent, quel poète écrira une autre prière sur l'Acropole qui sera l'évocatrice de notre occident de souffrance où planent la douleur et la mort?
Mais voici que descend la nuit de plus en plus. Une grande tristesse semble tomber du ciel d'où s'éteint toute clarté. La plaine s'ensable de noir; et au-dessus des collines violet sombre fermant l'horizon, l'or du couchant flamboie encore; mais il s'atténue; on sent qu'il va disparaître. Et il semble qu'en l'ultime clarté qui demeure toujours là-bas résident toutes les illusions et les espoirs de notre vie humaine …

Paul Husson.
Les Andelys , le 2 mars 1910.

Un fusil automatique.
Le ministre de la Guerre vient de faire mettre à l'étude, dans tous les services intéressés, un fusil automatique destiné à remplacer le “Lebel” actuel.
Les conditions auxquelles devra satisfaire le nouveau modèle sont détaillées dans un programme qui vient d'être élaboré, voici celles relatives au chargement:
L'arme s'approvisionnera au moyen d'un chargeur ou de tout autre système analogue (cinq cartouches au plus).
On adoptera le principe du chargement permettant de tirer le contenu du chargeur en agissant à chaque coup de détente, mais sans désépauler.
Toutefois, l'arme devra pouvoir être utilisée non seulement comme un fusil à chargement automatique, mais encore comme un fusil à simple répétition. Elle devra permettre également le chargement coup par coup avec des cartoiuches isolées.
Le poids du fusil ne devra pas dépasser 4kilos200 et le calibre ne pourra être inférieur à 6 m/m 5; la vitesse devra être au moins 20 coups à la minute, dans la position couchée.

L'Impartial 9 mars 1910.

L'anti-alcoolisme dans l'armée.
L'autorité militaire a interdit- on le sait- la vente de l'eau-de-vie et des “apéritifs” (dont la maudite absinthe) dans toutes les cantines de France. Depuis deux ans, elle s'attache à réduire, par voie d'extinction, le nombre de cantines, en commençant par celles qui sont tenues par les civils.
Les médecins-majors luttent à l'envi pour guérir les soldats, surtout les “bleus” de l'alcoolisme meurtrier. Ils surveillent les innombrables “mastroquets” qui  fleurissent aux alentours des casernes et des champs de manœuvres. Mieux encore: ils s'ingénient à créer et à faire prospérer des cercles de sous-officiers et de simples soldats. Là, on joue à des jeux honnêtes, on lit et l'on boit que des boissons hygiéniques. C'est la plus efficace des concurrences contre le cabaret. Ajoutes les conférences, les tracts ou les prospectus que l'on distribue à profusion et qui ne tombent pas toujours sous les yeux d'invrognes invétérés.
La guérison avance. Elle est toute à l'honneur de nos savants et courageux médecins militaires. La République aura bientôt une armée saine et sobre, une armée digne d'elle.

L'Impartial du 26 mars 1910.

Nos gendarmes.
Ne vous semble-t-il pas que la fameuse chanson de Nadaud “les deux gendarmes”, d'ailleurs amusante comme caricature très réussie, n'aurait peut être pas aujourd'hui le même succès populaire qu'elle rencontra il y a une quarantaine d'années?
D'abord, en ce temps-là, chansonner les gendarmes, c'était chansonner indirectement le pouvoir dont ils étaient la poigne un peu brutale. Nous avons aujourd'hui la critique trop libre pour que le genre de revanche de l'opinion n'ait pas perdu de son intérêt et de son sel.
Et d'ailleurs la poigne de nos gendarmes sait faire des distinctions, elle n'est plus rude qu'aux ennemis du repos public, aux hors la loi qui fait la commune sécurité. Pandore n'est plus au service de la politique; il se borne à servir avec un zèle méritoire d'intermédiaire administratif et à se constituer, pour ce qui lui reste de temps, en bon chien de garde des personnes et de la propriété.
C'est de quoi le réhabiliter dans la considération du plus grand nombre et le rendre quasi sympathique, nous dirions même “tout à fait” s'il ne restait un germe en chacun de nous, une latente et atavique hostilité pour tout ce qui touche à l'autorité et pour tous ceux qui en portent les insignes. Longtemps encore, peut être toujours, le Français frondeur sera avec Gnafron rossant le commissaire.
Quoi qu'il en soit, nous sommes vis-à-vis de la Gendarmerie, dans cet équitable état d'esprit que nous savons reconnaître ses services et les proclamer, et que toute la presse se prête, sans distinction de parti, à la campagne qui semble menée sur un mot d'ordre bien inspiré pour intéresser le gouvernement à l'amélioration de son sort et, au besoin, à lui forcer la main.
Ce sort est, en effet, lamentable. On prend bien justement en considération celui de tous les humbles serviteurs de la chose publique, celui des cantonniers, celui des facteurs ruraux, voire celui des gardes champêtres, mais personne n'avait encore songé à se demander quel était celui des gendarmes. Les gendarmes ne sont pas électeurs, la discipline militaire les empêche de se syndiquer, eux aussi, et d'émettre publiquement la moindre revendication. Ils surveillent et répriment les grèves, mais ils n'en ont pas le droit d'en user.
Ennemis des histoires, ils n'ont garde d'en provoquer à leur propre sujet, et c'est pourquoi on ne les entend même pas murmurer
Il faut qu'on parle pour eux et c'est ce qu'on est entrain de faire.
En principe, un gendarme a droit à une solde de 2fr81 par jour, mais il ne la touche pas, du moins dans son intégralité. Quand il est entré au corps, l'État généreux lui a prêté une première mise pour se monter de tout son fourniment qui n'est pas sans coûter plus cher qu'une blouse, une casquette et un parapluie, et s'il est à cheval, s'en acheter un qui ne soit pas de bois.
Cette première mise est de 250 francs pour le fantassin et de 350 francs pour le cavalier. Elle est insuffisante, la moyenne des dépenses d'entrée étant de 400 fr. pour l'un et de 1500 fr. pour l'autre. Le nouveau gendarme a donc dû s'endetter ou puiser dans le bas de laine s'il en a un. Il entre en service avec des dettes ou en déficit.
L'État prévoyant commence par se payer de ses mains en retenant 20 fr. par mois au cavalier et 10 fr. au fantassin, c'est-à-dire 66 ou 33 centimes par jour de solde de 2 fr. 81.
Et le gendarme n'est jamais libéré de ce prélèvement mensuel. Quand il a liquidé sa dette de première mise, il doit se constituer une masse individuelle uniquement destinée à renouveler son fourniment et le cheval, s'il a fait son temps ou s'il devient impropre au service très pénible de la gendarmerie montée, toujours par vaux et par chemins. Cette masse est dite complète à 150 fr. pour le fantassin et 500 fr. pour le cavalier.
Pour la constituer, c'est une nouvelle retenue mensuelle de 8 fr. d'un côté et de 16 fr. de l'autre.
En somme, tout le temps de son service, le gendarme vit avec une moyenne d'environ 2 fr. 50 et je force le chiffre. Notez qu'avec cela, il ne lui est pas interdit, au contraire, de prendre femme, de monter et d'entretenir un ménage et d'avoir beaucoup d'enfants, ce à quoi il ne manque d'ailleurs pas généralement. Il est vigoureux et c'est sa distraction.
On avouera qu'au prix qu'est le beurre, même à la campagne, c'est plutôt médiocre comme ressource d'existence et que le règlement est bien surperflu qui interdit au gendarme de s'attarder au cabaret.
Il est vrai que le gendarme et sa famille sont logés aux frais de la princesse départementale. Mais quel logement! Qui dira les misères grandes et petites de la caserne de gendarmerie!
Notez au surplus que le gendarme n'a le droit d'élever ni poules, ni lapins, ni de se livrer à aucun travail pour autrui, ni de tenir commerce et sa femme non plus, le prestige de l'autorité du mari et celui du corps s'y opposent.
Il y a bien la médaille militaire et les cent francs de supplément qu'elle apporte pour faire bouillir la marmite.
Mais le gendarme, bien qu'il soit le soldat toujours en service militant, est le militaire qu'on décore le moins.
Le sous-officier rengagé, mieus nourri, moins surmené, s'en va après quinze ans de service avec la médialle militaire et la certitude d'un emploi civil. Le gendarme qui ets, la plupart du temps un ancien sous-officier, attend vingt-sept ans pour être médaillé et toucher une retraite ridicule.
Vraiment on se demande comment la gendarmerie trouve encore à se recruter; un service ce chien de douanier, tous les mauvais coups à recevoir et aucune autre satisfaction que de revêtir un plastron de moins en moins décoratif mais toujours assez pour servir de cible au brocard et à la chanson quand ce n'est pas au braconnier ou au rôdeur de grand chemin.

Henry Berton
L'Impartial du 30 mars 1910.


Mai

Un coin des Andelys.
C'est une allée d'ormeaux, étroite et capricieuse, à quelques pas des boulevards et qui chemine, modeste, entre la gare et la prairie.
Il faut la connaître pour l'aimer. Elle est humble mais volontaire, et suit sa route sans défaillance. Un filet d'eau l'accompagne, dissimulé sous les branches, si tranquille, tout d'abord, qu'on l'ignore. Mais les ruisseaux, cousins des sources, sont bavards et, de temps à autres, heurtant une roche, sautant sur un tertre, par intervalles, on l'entend qui murmure des choses légères et vaines, mais charmantes.
Le voilà découvert: il vous tient compagnie; il est discret pourtant et vous pénétrez sous les arbres, l'âme déjà prête au recueillement, il se tait, il s'est tu, et si vos yeux ne se penchent pas sur lui, rien ne trahira sa présence.
Cependant l'ombre s'accroît, les ormeaux se resserrent et, dans le feuillage, la lumière mène ses jeux; elle découpe sur le sentier des arabesques mouvantes, nuancées, ajourées comme des dentelles et si gracieuses aux regards que vous oubliez votre livre pour suivre la danse folle des ronds de soleil.
Un lilas s'incline à côté de vous, mais assez loin pour qu'on le respire sans pouvoir le cueillir, comme une femme que l'on frôlerait tous les jours, qui vous grise et que jamais l'on ne possédera.
L'allée est longue: vous pouvez y rêver. Assis sur le banc de bois, dans l'herbe haute, il vous est permis de broder sur une intrigue, d'évoquer une figure chère, de méditer en paix. Vous êtes seul: la voûte des branches évoque une nef de cathédrale et, dans la chapelle du souvenir, en vous, ressuscite des joies mortes, des douleurs lointaines.
Le jour baisse. La silhouette du Château-Gaillard se profile, sombre, sur le ciel, dresse ses tourelles hautaines et fait surgir une vision héroïque dans le couchant violet.
Attardé dans le crépuscule, vous yeux regrettent une dernière fois le silence de cet asile; sa beauté s'accroît, revêt maintenant une gravité religieuse, et l'on songe qu'en automne, parmi des feuilles mortes, au soleil couchant, il composerait un harmonieux décor pour une amoureuse abandonnée qui viendrait y pleurer une illusion perdue.

Tristan.
L'Impartial du 21 mai 1910.
L'auteur de cette lettre adressée au journal est datée du 18 mai. Par souci de modestie, il a conservé l'anonymat, mais il semble que ce correspondant soit une femme.

Tabac populaire.
Notre ministre des finances qui porte un intérêt tout particulier aux gens riches, vient d'augmenter en douceur le prix des tabacs dits “de luxe”. Certainement les modestes fumeurs qui accordent leur préférence au si démocratique “Maryland” ou “Jaune”, vont se trouver très honorés de savoir qu'ils consomment du tabac “de luxe”; mais combien leur fierté ne sera-t-elle pas diminuée lorsqu'il faudra allonger à la buraliste treize sous au lieu de douze pour un paquet de cigarettes, un franc, au lieu de 0,80 pour un cube de tabac!
Du moins, si M. Cochery avait été gentil, il aurait profité de l'occasion pour reprendre une vieille proposition de son sous-secrétaire d'État, René Renoult, tendant à la création de paquets de “tabac populaire” à 0,30 F. Les quarante ou cinquante grammes.
Ce tabac serait tout simplement coupé un peu plus gros, et agrémenté de quelques bûches dans le genre du tabac de cantine. Il proviendrait exclusivement de la production nationale, et de ce fait, l'agriculture française trouverait un appréciable bénéfice. C’est faire d'une pierre deux coups : n'est-ce pas là une excellente combinaison?
Depuis 1890, vingt-cinq départements seulement possèdent le monopole de la culture du tabac, avec l'obligation de conserver une mesure stricte dans leurs productions respectives. Or, dans l'année 1903, par exemple, 54 400 planteurs ont cultivé 16 033 hectares et ont produit 24 millions de kilogrammes de tabac, ce qui donne un rendement moyen de 1 500 kilogrammes à l'hectare. Le prix moyen de l'année ayant été de 89,12 F les 100 kilogrammes, cela représente 1 338 F à l'hectare, c'est-à-dire un produit supérieur à celui de la plupart des cultures, même les plus rémunératrices.
Combien de braves gens se privent de la jouissance, mais oui, de fumer une bonne pipe de caporal ordinaire (sans parler du Maryland), et qui s'offriraient volontiers un paquet de “populaire” à six sous! Le Fisc n'y perdrait rien, et l'agriculture y gagnerait toujours quelque chose.
Allons M. Cochery, un bon mouvement! A quand la création du “tabac populaire”?
A. Capello
L'Impartial du 25 mai 1910.

Juin


A propos des écoles d'enfants de troupe.
On ne fera plus à nos écoles d'enfants de troupe le reproche jusqu'à présent fondé de manquer de sanctions : la création du brevet élémentaire pour l'instruction générale et l'institution d'un certificat de topographie pour l'instruction militaire sont maintenant une réponse éloquente aux adversaires de ces établissements.
Il existait bien déjà un diplôme de fin d'études; mais comme ce titre ne constituait pas toujours une recommandation auprès des colonels, les officiers et professeurs ont réclamé des examens nouveaux pour stimuler les élèves et les empêcher de vivre désormais en marge de l'armée et de l'université .
Aujourd'hui, avec la loi des deux ans, avec les nécessités d'une nouvelle tactique correspondant à la transformation de notre armement, le sous-officier, que sera demain l'enfant de troupe, ne doit pas seulement compter sur sa vaillance, sur son courage; son cœur ne lui suffit plus, il lui faut une tête “bien faite”, autrement dit une instruction spéciale, adéquate à son rôle de chef de section.
Le brevet de topographie vient précisément sanctionner cet enseignement militaire; il vient attester que l'élève sait faire un levé de plan, un croquis panoramique, et mettre à jour lui-même la carte d'état-major que d'autres ne sauront jamais ni lire ni comprendre.
Ces jeunes gens ainsi armés physiquement et intellectuellement deviendront alors des sous-officiers de carrière parfaits; bien préparés, confiants dans leurs forces, sûrs d'eux-mêmes, ils en aimeront que davantage leur métier, et n'en déploieront que plus de zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs militaires.
C'est donc une tâche éminemment patriotique que collabore tout le personnel de l'école; et cette oeuvre n'a point manqué de séduire certains officiers distingués, membres du conseil d'administration de la Société de topographie de France, et M. Cœuret, le si dévoué secrétaire général de cette même société. Pour certifier l'importance de ce brevet, autant que pour montrer tout l'intérêt qu'ils portent aux enfants de troupe, ils ont consenti à venir aux Andelys, dimanche prochain, pour diriger eux-mêmes les épreuves. Et ces enfants ainsi encouragés, travailleront avec plus d'entrain, de belle humeur, et augmenteront le rendement des écoles militaires préparatoires jusque là tant décriées parce qu'incomprises, ignorées ou inconnues.

Voici le nom des membres composant la commission d'examen:
le commandant Vantorre, président;
le commandant de Châteaux; le capitaine Bouet; le lieutenant Evremont-Lucas; M. Cœuret, membres du conseil d'administration de la S.T.F.;
le capitaine Guicler, major de l'Ecole;
Monsieur Lemercier, professeur de dessin;
le lieutenant Rousseau et le lieutenant Duroux, instructeurs, chargés du cours.

Les épreuves se composeront :
1° d'un relevé polygonal fermé avec planimétrie et nivellement. Itinéraire et terrain choisis par la Société;
2° d'un dessin panoramique du secteur et terrain avoisinant;
3° d'interrogations théoriques sur le cours d'après le programme de la S.T.F.;
4° de la lecture de la carte d'état-major.

Notre Ecole présentera 34 candidats auxquels bien entendu nous souhaitons bonne chance.

L'Impartial du 1 juin 1910.


Les Andelys en fête.
Le dimanche 5 juin dernier, la population des Andelys était en fête pour recevoir l'Union chorale des chemins de fer de l'État qui venait donner dans son théâtre une Matinée musicale et littéraire au profit des pauvres. L'accueil fait, tant dans la salle des spectacles qu'au jardin public, aux remarquables artistes qui composent cette brillante Société, a été des plus enthousiaste, et les andelysiens conserveront de cette journée un souvenir qui ne s'effacera pas de longtemps. Au programme : Mme Jean Liane, exquise dans ses œuvres spirituelles, Mlle Huguette Dany du théâtre Michel, Mlle Carle du théâtre de la Porte-Saint-Martin, Mlle Carmen Rivière de Bonnal, cantatrice de talent, MM. Barré, fort ténor de l'Opéra, Baron, Eidel, les comiques Vaissier et Gardret, MM. Merle et Léonard, très applaudis dans le duo du Crucifix de Faure, etc … Le piano était tenu par le célèbre compositeur, Georges Sporck. Dans la nombreuse assistance nous avons reconnu M. Steinilber, le chef de cabinet du président de la Chambre des députés. Au banquet du soir, M. le maire des Andelys et M. Delaboissière, président de la Commission des fêtes ont remercié en éloges charmants tous les artistes qui leur avaient procuré de si délicieux moments; MM. Dugué et Cabanier, présidents de l'Union chorale des chemins de fer de l'État leur ont répondu avec leur verve habituelle.
Une brillante retraite aux flambeaux, organisée avec le concours de la musique municipale, de la fanfare des enfants de troupe, de la Société de gymnastique, de la municipalité précédée de son maire, du corps des sapeurs-pompiers commandé par le distingué capitaine, a escorté jusqu'à la gare cette brillante phalange; et dès le départ du train, les échos des acclamations de plus de 3 000 personnes retentissaient longtemps encore cependant que, s'éloignant avec regret d'une cité si hospitalière, les vaillants chanteurs de l'Union chorale des chemins de fer de l'État regagnaient la capitale, satisfaits et heureux du devoir accompli.

L'Impartial du 8 juin 1910.

Juillet

Les enfants à l'usine.
La Chambre, par un vote qui a passé presque inaperçu dans le tohu-bohu bohu politique, vient de voter la suppression du travail de nuit des enfants dans l'industrie.
On se demande comment, en ce siècle d'hygiène et de progrès social, a pu subsister une pareille anomalie : des enfants occupés la nuit dans l'enfer des grands ateliers! Il est vrai qu'une loi, de 1892, avait interdit le travail de nuit des enfants, mais elle l'interdisait dans les industries les plus dangereuses, les moins pénibles, tandis qu'elle le laissait subsister à titre d'”exceptions” dans les usines à “feu continu”, c'est-à-dire les plus meurtrières.
Sept genres d'industrie ayant bénéficié de cette exception, occupent, à l'heure actuelle, environ 12 000 enfants; ce sont : les distilleries de betteraves, les fabriques d'objets en fonte émaillée, les usines pour l'extraction des huiles, les raffineries et les fabriques de sucre, la papeterie, la métallurgie et la verrerie.
Les cinq premières de ces industries occupent environ un millier d'enfants : c'est peu, et il suffira d'une simple entente entre les patrons concurrents, pour faire cesser le travail de nuit des enfants. Mais, dans la métallurgie et la verrerie, nous pénétrons, comme dit l'abbé Lemire, rapporteur du projet de loi, “les derniers cercles de l'enfer”. Et voici le tableau saisissant que nous en fait le rapporteur :
“Ces pauvres petits diables au corps grêle, aux yeux fiévreux, aux paupières sans cils, sont amenés là par leurs parents, que la misère conseille mal, souvent avant l'âge légal de treize ans.
Ils veillent une nuit sur deux en moyenne, c'est-à-dire souvent pendant huit nuits consécutives : huit autres nuits de suite leur étant accordées pour le repos. Cette effroyable tâche, ils l'accomplissent mêlés aux ouvriers adultes de trois équipes qui se relaient de huit heures en huit heures.
Dans une atmosphère infernale, à la bouche des fours qui émettent une chaleur de
1 900 degrés, les “petits cueilleurs” (nous sommes dans une verrerie) courent prendre, au bout d'un tube d'acier, la boule de verre en fusion qu'ils passent à l'ouvrier qui la souffle. Viennent les petits “teneurs de meule”, qui humectent, ouvrent et referment deux mille fois par jour un mole de huit kilos. Viennent enfin les petits “porteurs”, qui se précipitent vers les fours, pour y présenter les bouteilles que les ouvriers ont achevées. En galopant ainsi, ils font vingt-cinq kilomètres par jour et usent une paire d'espadrilles par semaine ...”.

Pour les verriers de Romilly-sur-Andelle.

L'Impartial du 5 juillet 1910.



Le Concours de chansons militaires.
Nous avons parlé, lors de sa création, du “Concours de chansons militaires”. Le programme en est aujourd'hui publié :
Les chansons devront avoir un caractère patriotique ou être traitées de façon alerte et joyeuse, sans mots orduriers ni situations grossières; elles auront de préférence, un assez grand nombre de couplets plutôt courts, chacun d'eux pouvant répéter une partie du précédent; le compositeur devra employer presque toujours l'unisson. Il n'usera que très modérément de la division des voix à deux parties; toutes les chansons devront comprendre les paroles et la musique. Elles seront transcrites séparément.
Les manuscrits devront être envoyés non signés, mais accompagnés d'un pli cacheté contenant les noms et adresses des auteurs; une épigraphe placée en tête des manuscrits sera reproduite sur l'enveloppe du pli cacheté. Ces manuscrits devront parvenir avant le 1er octobre 1910, date de la clôture du concours, au ministère de la Guerre, cabinet du sous-secrétaire d'État, premier bureau. L'enveloppe portera la mention : “Concours de chansons militaires”.
Enfin, voici les prix mis à la disposition du jury:
5 prix en espèces de 500 F, 300 F, 200 F, 150 et 100 F; 10 médailles de vermeil, 15  médailles d'argent, 20 médailles de bronze.

L'Impartial du 6 juillet 1910.


Les chaussettes des soldats.
Les rapports qui ont été adressés au ministère de la Guerre en exécution de la circulaire du 2 décembre 1908 au sujet de la distribution des chaussettes pendant l'année 1909 n'étant pas suffisamment concluants pour permettre de prendre une décision au sujet de leur adoption définitive, le ministre a décidé qu'il y avait lieu de continuer à titre d'expérience à distribuer des chaussettes aux hommes, dans les conditions fixées par la circulaire susvisée du 2 décembre 1908.

L'impartial du 20 août 1910.


L'esprit militaire.
Ceux qui écrivent que l'esprit militaire se meurt en France sont ou des réactionnaires de mauvaise foi ou des patriotards imbéciles; les uns n'écoutent que leur haine du régime actuel et les autres cherchent à exaspérer la fibre patriotique pour que leurs lecteurs ainsi abusés puissent confondre dans une même réprobation les antipatriotiques et les républicains.
Le soldat d'aujourd'hui a, certes, un tout autre sentiment de sa dignité que son aîné; il consent à l'obéissance lorsque l'autorité est sévère avec justice et il lui donne tout son cœur lorsqu'elle se fait bienveillante et paternelle; mais il repousse la discipline passive et se révolte contre l'autorité impérieuse et tyrannique. Il réclame l'affection du chef pour lui donner sa confiance, il aime la forme polie, cordiale, et ne veut plus de la menace sans raison, et du caporalisme sauvage ou idiot. Il entend se dévouer par suite d'une nécessité supérieure, pour la sauvegarde de ses affections les plus chères.
Son éducation a changé; il a pris certainement plus conscience de sa personnalité; mais son  cœur est resté le même, et c'est toujours le sang gaulois qui coule dans ses veines en s'échauffant dans les amitiés et en bouillonnant dans les luttes suprêmes.
D'ailleurs quel est celui d'entre nous qui n'a pas admiré l'entrain de nos pioupious, leurs énergies dans les manœuvres, leurs crâneries, et leur gaieté quand même?
Pensez-vous donc, en les voyant défiler couverts de boue ou de poussière, que le sac leur paraît plus lourd qu'aux anciens, le ciel moins clément, la douleur plus aiguë et les épreuves plus dures? Ah! que non; et il faut vraiment chez ces contempteurs de notre armée un autre cœur et d'autres nerfs que les nôtres. Il faut que la rage et le dépit de ne pouvoir commander aient obnubilé leur sens moral et détruit chez eux tout noble sentiment. Mais il ne faudrait pas se souvenir pour être surpris, puisqu'hier encore, traiter de “prussecos” les Alsaciens-Lorrains qui avaient abandonné leurs biens pour rester Français.
Ce sont donc ces prétendus jingoes qui sèment l'antipatriotisme, et l'antimilitarisme : l’égoïsme politique, les ambitions ont tué en eux les qualités brillantes de notre race.
Non, croyez-moi, lecteurs, il n'est pas passé le temps heureux où la foule enthousiaste se portait au-devant du régiment qui faisait son entrée dans la ville au pas rythmé par les tambours et les clairons, le colon en tête et le drapeau déployé. Il n'est pas passé, le temps heureux où le soldat était reçu à bras ouverts dans les maisons bourgeoises ou dans les modestes logements ouvriers; le temps heureux où l'on fêtait à la table la mieux dressée, le 'lignard”, le “vitrier” ou le “colonial” qui rappelait à la famille le fils ou le frère parti, lui aussi, pour payer sa dette. La ville ne prend-elle pas elle-même ce jour là un air de fête avec ses drapeaux aux grands mâts et aux fenêtres; le travail y est suspendu; le mari a quitté l'atelier, la femme son ménage, la jeune fille son aiguille, le gamin son école, et tous trottent par les rues, distribuant sourires et renseignements.
Le régiment réveille la cité endormie, il rompt la monotonie du labeur journalier; il fait cesser les divisions, momentanément du moins, et il révèle les grandeurs naïves de l'âme du peuple. Nous n'avons qu'un regret, c'est qu'il ne soit pas venu cette année même faire sentir aux Andelys son action morale et patriotique.

Un Andelysien.

L'Impartial du 10 septembre 1910.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.