Une dernière marche?
Lundi
dernier, de grands élèves de l’École militaire préparatoire des Andelys, partis
le matin, ont fait une longue marche d’entraînement.
Pour assister à
leur retour, M. le commandant Déjan, commandant l’École militaire, se trouvait
vers 18 heures sur la place Nicolas Poussin, accompagné des officiers de l’École.
Soudain,
une marche militaire enlevée avec brio sous le commandement du sergent
Lanctuit, retentit rue Jullien. C’est le retour des enfants de troupe. On
accourt sur leur passage. Comme c’est jour de marché, les spectateurs ne
manquent pas.
Sous
le commandement de leurs gradés, les élèves défilent crânement, faisant à la
hauteur du commandement un tête à gauche ! impeccable.
Puis
les accents de la vibrante fanfare s’atténuent peu à peu au cœur de la ville.
Et
l’on pensait, avec émotion, aux soldats du front, auxquels, bientôt peut-être,
se joindront ces grands jeunes gens.
L'Impartial
du 18 mai 1940.
Les journées de juin 1940.
Extrait d’un article paru dans
l’Impartial le 22 avril 1950, écrit à l’occasion de la remise de la Croix de
guerre à la Ville des Andelys et à l’École militaire :
«....Nous sommes aux premiers jours de
ce funeste mois de juin 40 dont le soleil resplendissant était un douloureux
constraste aux jours les plus sombres de son histoire qu’allait vivre la
France.
Libérées par le ré-embarquement de
Dunkerque, les divisions motorisées allemandes avaient repris leur déferlement
vers le cœur de la France.
La ligne de la Somme est alors percée
et les hordes vert-de-gris foncent à pleins moteurs vers la Seine, précédées de
leur aviation maîtresse du ciel et qui va à l’avant porter l’hallucinante
horreur de ses bombardements terroristes sur les routes par où s’écoule le flot
lamentable des réfugiés fuyant devant l’envahisseur.
Le lundi 3 juin, la fête
Sainte-Clotilde avait été célébrée aux Andelys, en présence de Mgr Gaudron,
évêque d’Evreux.
Le lundi 5 juin, Ecouis,
Fleury-sur-Andelle, Charleval, Les Thilliers-en-Vexin sont bombardées.
Le vendredi 7 juin, Ecouis de nouveau
et par deux fois, et Gisors.
Le lendemain, samedi 8 juin, de
nouveau Gisors, Vernon (où le marché bat son plein), et Les Andelys.
Les bombardements
du 8 juin :
Le premier bombardement des Andelys a
lieu le samedi 8 juin, peu après 11 heures. Beaucoup d’andelysiens ont quitté
la ville le matin, les larmes aux yeux : la plupart ne retrouvèrent que ruines
de tout ce qu’ils avaient construit par un patient labeur et de ce qui était
leur foyer.
Une des premières bombes tombe au
carrefour de la Soie, près de l’entrée du Château Hamelin, pulvérisant deux
voitures de réfugiés et leurs occupants.
Une autre bombe, rue des Capucins sur
les maisons portant les numéros 51 et 53, la famille Leroy-Autun, Mme et Mlle
Lavenu sont tuées. M. Georges Harlay pensionnaire de la maison de retraite de
la rue des Capucins, est tué également.
Rue Flavigny, une troisième bombe
blesse Mlle Vaillant et tue à la Soie la famille Lebourg, réfugiés de Lyons.
Ce premier bombardement détermine la
plupart des gens aux Andelys, à s’éloigner.
Bien leur en prit de s’écarter de la
ville, car le soir vers 18 h 30 une vague de 25 avions allemands surgissait et
entreprenait un bombardement méthodique du Grand Andely par des bombes explosives
et incendiaires.
Place Nicolas Poussin, la famille
Desselle, qui tenait le café Molière : la patron, la patronne, le fils et la
bonne sont tués par une des premières bombes de même que Mlle Cornu, aux
Planches, dans la vieille côte d’Etrépagny.
Immédiatement l’incendie se éclanche
dans la rue Grande (aujourd’hui Marcel Lefebvre), et faute de pouvoir être
combattu, s’étend et dévore tout sur son chemin.
L’arrivée des
Allemands et combats sur la Seine :
Le lendemain dimanche les réfugiés qui
voulaient encore passer la Seine sur le pont des Andelys se le voient
interdire.
Les quelques troupes françaises qui en
défendent l’accès le feront sauter peu après midi au moment où 200 cyclistes
allemands faisant irruption au Grand-Andely, le traversaient à toute vitesse et
se dirigeaient vers la Seine pour s’emparer de ce passage essentiel.
Le pont sauté, les Allemands lanceront
alors un pont de bateaux en caoutchouc vers le Port-Morin.
Ils débarquent dans l’île des Trois
Rois et malgré l’opposition et les feux des troupes alliés qui occupent encore
la rive gauche, ils gagnent les bois de Tosny et de Bernières.
Dans la nuit de dimanche au lundi, ils
réussissent à faire passer de l’artillerie entre le Port-Morin et La Garenne de
Tosny, et canardent des batteries françaises qui se sont efforcées de leur
interdire le passage de la Seine.
Deux simples petits soldats français
méritent d’être cités ici pour être morts en défendant Les Andelys : le soldat
Le Priol, qui refusa de se rendre place Saint-Sauveur, et fut abattu par les
allemands, et le soldat Laplanche, tué dans la destruction du pont.
Les pillards :
Le lundi 10 juin, arrive le gros des
troupes allemandes de toutes armes qui traversent Les Andelys pour passer la
Seine.
Au passage les Allemands pillent et
emmènent tout ce qui les intéresse dans les maisons qui n’ont pas encore brûlé.
C’est ainsi qu’ils dévalisent par
camions entiers le Franc-Picard, la quincaillerie Gaillard, la cave de l’Hôtel
des Trois Marchands, la crèmerie Raux, etc...
A l’hôtel de la Chaîne d’Or, un
officier allemand est entré avec son cheval dans la salle de café et se fait
servir de copieuses rasades par son ordonnance qui par correction a ceint un
tablier blanc.
... et l’incendie continue de
s’étendre et de ravager peu à peu tout le centre du Grand-Andely.
Les incendiaires :
Jusqu’au 13 juin (le jeudi ) Les
Andelys vont continuer de se trouver dans le secteur de la bataille dont ils
continuent de percevoir les échos et les effets.
Quelques tirs d’interdiction
d’artillerie sont tirés par les alliés vers la Seine pour essayer de ralentir
le passage des Allemands.
Dans le même but un avion anglais
lâche quelques bombes la nuit sur Les Andelys... ce qui incite un état-major
allemand de passage à changer prudemment son cantonnement et à se loger un peu
à l’écart.
... Cependant, tout le centre vital
des Andelys continue d’être la proie des flammes... les deux sentinelles
allemandes qui gardaient l’entrée de la Mairie, s’en vont tranquillement
lorsque celle-ci n’est plus qu’un brasier.
Pas d’eau, pas de pompes à incendie,
plus aucune autorité responsable sur place pour diriger les secours: les
quelques andelysiens restés là, au milieu de la bataille et du chaos assistent
impuissants et désolés à la ruine de leur ville qui brûle déjà depuis cinq jours.
Mais sans doute n’est-ce-pas suffisant
car les Allemands qui visitent les habitations abandonnées y déposent çà et là
des cordons incendiaires, notamment rue de la Sous-Préfecture et de la
Madelaine allumant de nouvaux foyers qui vont achever l’oeuvre de destruction.
Et c’est ainsi que le Grand-Andely
brûlera pendant quinze jours et que le gigantesque incendie ne s’arrêtera que
faute de combustible, après avoir dévoré tout un patrimoine de labeur, d’art et
de gloire.
Ceux qui étaient
restés :
Sur plus de 5000 habitants que
comptait normalement la ville, 3 à 400 tout au plus étaient restés au Grand et
au Petit-Andely.
Au milieu du chaos indescriptible, il
fallut songer au ravitaillement des habitants, à l’enterrement des cadavres et
à une foule de problèmes tous plus urgents et plus angoissants. L’eau, le gaz,
l’électricité faisaient défaut.
Les malades de l’hôpital de Gisors
avaient été évacués sur celui des Andelys, dont l’économe, M. Lemaire, les
soeurs et le personnel demeurés sur place, durent faire face aux pires
difficultés.
Les évènements voulurent que se
trouvât à la tête de la petite communauté des andelysiens restants, un brave
homme dont le dévouement fut extrème : M. Joseph Montailler, secrétaire de
mairie.
Ne connaissant que son devoir, au
milieu de l’affolement général et bien compréhensible, il rendit tout d’abord à
la ville un service inappréciable en sauvant les archives essentielles,
c’est-à-dire l’état civil et le cadastre. (On imagine ce qu’aurait été le
remenbrement par la suite !).
Le dimanche 9 juin, il transporta une
partie de ces archives chez M. Ragaine, à Vézillon, au moment même où le pont
sautait.
Puis le jeudi 9 juin, il retourna les
chercher et les rassembla sous la Tour Corneille. Et finalement les transporta
au bureau de l’Enregistrement, rue Delaisement où les bureaux de la mairie
avaient été ouverts.
M. Montailler assuma les fonctions de
maire, représentant et la tâche difficile de défendre les intérêts de la
population devant l’occupant.
Il fut assisté du docteur Joinville, de
MM. Nony, Léon Leroy, Maurice Gicquel (ravitaillement), Henri Barthélémy
(enregistrement), Arthur Hérissé, Angrand, Marcel Teissier, Antoine Burgraeve,
Richard Barette, Lucien Demand, Dupuis brigadier de police, Gérault receveur
d’octroi, Gaspard, Pieren, Autin, etc...
Plus tard, au début de juillet, des rentrants
qui étaient partis dans les environs, vinrent s’adjoindre au groupe : MM. Pauc,
Epiat, Brumeau, Grais, Soufice, Philippe Bard, etc...
La Poste ouvrit le 8 juillet à la
sous-préfecture avec Mmes Pauvert et Coty qui étaient demeurées sur place.
Il fallut récupérer et distribuer des
vivres, organiser les premiers déblaiements, inhumer les morts, soigner les
blessés, trouver du charbon, de la lumière, etc...
Beaucoup de courage et de dévouement
se dépensèrent pour sortir de l’infernal chaos.
Peu à peu, cependant, ceux qui étaient
partis rentraient et pour la plupart n’avaient plus de toit pour s’abriter et
ne retrouvaient que ruine et désolation.
Fin 1940, à 200 unités près Les
Andelys avaient retrouvé leur population.
Les bombardements de juin 40 avaient
fait 18 victimes. Il y en eut 8 le 2 juin 1944 et un en août 1944.
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