1934 (1) : La fanfare de l'EMP à Fleury sur Andelle, fête nationale de Jeanne d'Arc, fête de séparation, distribution des prix, les résultats des brevets, Une promotion, résultats définitifs, un élève blessé par un chasseur.

Mai

A Fleury sur Andelle.
Présence de la fanfare de l’E.M.P. à la mémoire des enfants de Fleury sur Andelle, morts pour la France avec un  détachement des élèves en excursion dans la région.
Présence du commandant Jourdan, commandant de l’E.M.

L'Impartial du 12 mai.

Fête nationale de Jeanne d’Arc.
Concert à 17h. place Nicolas Poussin, fanfare de l’E.M.P., direction M. le sergent Gide.
[…] banquet du CSA […]
M. Delarue, président du CSA n’eut garde d’oublier dans ses remerciements, M. le commandant Jourdan, qui permet à ses enfants de troupe de s’associer à nos fêtes sportives…

L'Impartial du 16 mai.


Juin

École militaire, fête de séparation.
La fête traditionnelle de séparation aura lieu le dimanche 8 juillet.
Elle aura cette année un caractère particulier en raison du grand nombre d’élèves qui   doivent quitter les Andelys pour rejoindre en octobre la nouvelle école militaire d’Epinal créée en remplacement des écoles de Rambouillet et de Saint-Hippolyte-du-Fort.
Le nouveau mode de recrutement régional mis en vigueur à dater de la prochaine incorporation fait diriger sur Epinal tous les élèves originaires des départements du Nord, de la Somme, de l’Aisne, dont un grand nombre appartiennent à l’École des Andelys.
Ces jeunes gens qui pour la plupart, ont vécu deux à trois ans aux Andelys ne veulent pas quitter la belle petite cité normande sans exprimer leur reconnaissance à la population qui leur a montré tant de sympathie.
Aussi se proposent-ils de contribuer de tout cœur à la réussite de leur fête annuelle  où ils convient les habitants des Andelys et des environs.
Le programme général comprendra trois parties :
Dans la matinée, diverses manifestations en ville ;
Dans l’après-midi, à 14 heures, une fête champêtre dans les parcs de l’École qui comporterons diverses attraction.
Entrée gratuite.
Le soir, à 21 heures, une soirée artistique probablement suivie d’une sauterie. Le programme de cette soirée organisée par le cadre militaire et les professeurs est particulièrement soigné. En raison de l’exiguïté de la salle des fêtes, cette séance sera réservée aux personnes ayant reçu une invitation individuelle.
L’ensemble réalisé avec beaucoup d’originalité sera certainement très goûtée des assistants.

L'Impartial du 23 juin.

Distribution des prix à l’Ecole militaire.
Elle aura lieu le 12 juillet à 15h30 sous la présidence du général commandant le Troisième corps. Accueil des dons avant le 8 juillet avec condition d’attribution.

L'Impartial du 30 juin.


Juillet

Fête de séparation. Programme du 8 juillet.
1er. Le matin à 8h30, dépôt d’une gerbe au monument aux morts de la ville par les élèves quittant définitivement l’École. Un défilé empruntera les principales artères de la ville ;
2e. L’après-midi, fête champêtre gratuite dans les parcs de l’E.M. Jeux, attractions diverses et concours de tir (dames et messieurs) dotées de nombreux prix ;
Couronnement d’une rosière ; buffet, friterie, concert, bal champêtre, jazz et fisk-up, guignol lyonnais, fakirs, décorations de l’École ;
3e. Le soir, soirée artistique sur invitation, avec un programme très choisi, élaboré par MM. Les officiers et professeurs. Rideau à 8h45 très précises ;
4e. Une sauterie aura lieu après la séance.
Les cars Loison assureront le transport des personnes pour la fête champêtre, la séance artistique et la sauterie.
Les personnes qui ne désirent pas utiliser leur carte d’invitation sont instamment priées de les retourner au lieutenant Cotte.
L'Impartial du 4 juillet.

Fête de séparation.
Cette fête traditionnelle a obtenu cette année, un succès tout particulier. C’est qu’en effet, en vertu des récents décrets-lois, beaucoup d’élèves, qui devaient revenir en octobre prochain aux Andelys, vont être dirigés, à la rentrée, sur le centre d’Epinal ; et ces jeunes gens n’ont pas voulu quitter la ville des Andelys sans lui témoigner, à l’occasion de cette fête de séparation, leurs sentiments de vive reconnaissance. Elèves, soldats, sous-officiers, officiers, professeurs, tous ont contribué à la réussite parfaite de ces brillantes réjouissances. Et, certes, M. le commandant Jourdan, qui dirige l’École militaire avec tant d’autorité et de bienveillance a droit à de très particulières félicitations.
Tout d’abord, comme il convenait, il y eut une pensée patriotique pour les aînés tombés au champ d’honneur. Et les élèves, musique en tête, allèrent déposer une gerbe de fleurs au monument aux morts de la ville, ainsi qu’à leur propre monument, érigé dans le parc de l’École.
Est-il besoin de dire que la population andelysienne, qui a tant de sympathie pour les enfants de troupe, avait répondu avec plaisir à l’aimable invitation du commandant Jourdan ? Aussi, l’assistance était nombreuse, quand, à travers le parc, tout enguirlandé, commença cette joyeuse kermesse, où rien ne manquait pour divertir : roue du champagne, buffet, musée, cocasse, marchand de crêpes et de frites, fakirs, etc ...
Il va sans dire que le couronnement de la rosière, ou plutôt du Rosier enjuponné, obtint le plus vif succès. On n’avait oublié ni M. le maire avec son discours ni les pompiers avec leurs panaches ...
La fanfare de l’École, que dirige M. le sergent Gidde, se fit également entendre dans un fort joli concert, qui recueillit les plus chaleureux applaudissements.
Le programme comportait encore une soirée, qui fut, sans conteste, le clou de la fête. Une nombreuse et élégante assistance se pressait dans la salle ; on remarquait, notamment la présence de M. Philip, sous-préfet ; Jourdan, commandant de l’École ; Bréard, conseiller d’arrondissement ; Hubert, adjoint au maire ; Destot, Labbé, Briard, conseillers municipaux ; les officiers et sous-officiers ; les professeurs et anciens professeurs de l’École ; Herment, président du S.I. ; le docteur Joinville ; Mueller, receveur des P.T.T. ; Chantrelle, commissaire de police, ...
Notons que les décors étaient dûs à M. Parrault, professeur de dessin, et que chaque programme avait été agréablement illustré par les élèves.
Au cours de cette soirée, on eut le plaisir d’apprécier une fois de plus, la valeur de l’orchestre militaire, dont les éléments sont bien entraînés et dont le chef, M. Gidde, doit être vivement félicité. De son côté, l’orcheste symphonique, que dirige M. Dubois, professeur à l’École militaire, se fit également remarquer dans plusieurs morceaux, exécutés avec beaucoup d’ensemble et un art de la nuance des plus remarquables ; le piano était tenu par Mme Dubois.
Le public fut très intéressé par deux ballets, celui des Pierrots et celui des Indiens Peaux-Rouges, fort bien mimés par un groupe d’élèves. Le second ballet, en particulier, eût pu être présenté comme un très beau tableau vivant.
Une surprise était réservée à l’assistance : ce fut l’arrivée sur la scène de la gracieuse Mlle Noëlle Ritter, qui dansa, avec un art consommé, Sylvia, de Léo Delibes, et la Mort du Cygne, de Saint-Saëns. Cette jeune artiste n’est pas une professionnelle, mais elle danse avec une telle perfection qu’elle pourrait l’être. Elle dansa la Mort du Cygne avec un tel sentiment dans l’expression du visage et une telle grâce dans les attitudes, qu’elle dû la danser une seconde fois devant les applaudissements du public.
Il y avait encore, car le programme était chargé, deux petites comédies: la fille à son père et le cheval de cirque, où l’on apprécia le brio du sergent Mazé, du caporal-chef Lesavre, des sergents Favre, Vidal, Debruille, Pucci, du sergent-chef Ghabot et de Mlle Chaplain. Un compliment tout particulier pour les sergents Mazé et Vidal.
M. Dubois, professeur, avait imaginé une chose charmante : un aïeul reçoit, au jour de son anniversaire, tous ses enfants et petits-enfants, lesquels viennent représenter leurs costumes et leurs chants, toutes les provinces françaises.
C’est ainsi qu’on applaudit: Le P’tit Quinquin, de Desrousseaux ; A Parthenay, de Werkerlin ; Ma Normandie, de Bérat, etc ...
Les plus vifs applaudissements accueillirent toutes ces vieilles chansons des provinces françaises, et la séance s’acheva, très tard dans la nuit, par une sauterie pleine d’entrain.
Encore une fois, au moment de terminer ce compte-rendu, il convient de féliciter tous ceux qui ont contribué à la réussite de cette splendide fête de séparation où à un beau spectacle d’art, s’ajoutait la pensée du plus pur patriotisme.

L’Impartial du 11 juillet.

La distribution des prix.
La distribution des prix a eu lieu jeudi dernier, le 12 juillet, à l’École militaire. Sur l’estrade dressée sous les ombrages du parc, avaient pris place :
MM. le général Errard, commandant la Troisième région, président ; Philip, sous-préfet ; le chef de bataillon Jourdan, commandant l’École militaire ; Vallet, lieutenant de gendarmerie ; Hugot, maire, Bréard, conseiller général ; le colonel Krebs ; le chanoine Oursel, archiprêtre des Andelys ; Sarrazin, professeur principal ; Clée, conseiller d’arrondissement ; Adolphe Albert, adjoint au maire ; les professeurs de l’École; Coutil, archéologue ; Rottier, Lafeuille, Labbé, Destot et Briard, conseillers municipaux ; Bertin, Lemercier et Gras, professeurs honoraires ; Dubois, directeur du pensionnat St Joseph ; Louchard, instituteur honoraire ; Mount, ingénieur-voyer ; Mueller, receveur des PTT ; Chantrelle, commissaire de police ; Chante, adjudant en retraire ; Sannier, négociant ; Nony, mécanicien et Chollou, etc ....
La cérémonie traditionnelle commença par une vibrante Marseillaise, enlevée par la fanfare de l’École, sous le commandement du sergent Gide.
Puis ce fut l’émouvante lecture par M. le lieutenant Forest, de quelques citations décernées, pendant la guerre, à d’anciens élèves : soldat Coroller, adjudant Robinet, sous-lieutenants Fombaustier et Le Dall.
Le discours de circonstance était prononcé, cette année, par M. le professeur Jouarre (Joire ?). Ce fut une allocution de belle tenue littéraire, et, en outre, fort bien dite. Esprit philosophique, M. le professeur Jouarre, qui est aussi un jeune, nous confia certaines aspirations de la jeunesse. Egoïsme et utilitarisme d’après guerre, crise de moralité, tout cela fut évoqué, détaillé. Mais dans cette obscurité, où trouver la lumière ? Dans la discipline sociale, en faisant prévaloir le moi social sur le moi individuel. Et M. Jouarre (Joire?) de conclure : Vivons et pensons en Français.
On applaudit chaleureusement, et M. le général Errard, après avoir félicité le jeune professeur, prit à son tour la parole pour présenter, à ses jeunes auditeurs, le portrait du chef, du chef militaire. Il le fit éloquemment en paraphrasant le maréchal Foch. Quelle admirable définition, M. le général Errard nous présenta ! Il termina par ces mots : « Le cardinal Mercier a dit, un jour : la France est une grande nation, il faut qu’elle s’en souvienne ! » Oui la France est une grande nation, souvenez-vous en toujours !.
De vifs applaudissements saluèrent cette belle péroraison.
Le programme comportait encore un extrait d’Hymerillot, de Victor-Hugo, qui fut dit admirablement par l’élève Perrette et le chant des Ecoliers Français, de Bouchor et Tiersot, choeur à trois voix, qui fut fort bien exécuté par les élèves de l’École, sous la direction de M. Dubois, professeur. La fanfare de l’École se fit également applaudir dans plusieurs morceaux brillamment enlevés.
La cérémonie, qui avait commencé à 14 h., par la revue des élèves et des troupes par le général Errard, suivie d’un vin d’honneur, se termina musique en tête par le défilé devant le monument aux morts.

L'Impartial du 14 juillet.

Le discours de M. Joire :

« Mon général,
Mon commandant,
Mesdames et Messieurs,
Chers élèves,
C’est à vous surtout, chers élèves, que ces paroles vont s’adresser ; mais plus encore à ceux d’entre vous qui vont nous quitter pour acquérir dans un autre établissement une formation plus élevée ; s’il n’en est pas qui déjà doivent connaître le plus rude contact de la vie sociale et militaire.
Vous vous attendez, prévenus d’ennuis au rituel discours de distribution des prix ; dernière gêne qui contraint en vous l’enthousiasme des vacances.
Ecoutez-moi, pourtant, car je veux joindre en cet enthousiasme de vie l’enthousiasme des vacances.
Nous ne pouvons pas vivre sans lui et c’est celui de notre époque et de votre âge dont je veux vous entretenir.
Peu d’années marquent actuellement peu d’avance sur le chemin de l’avenir avec le même esprit que vous me montre un horizon plus large, me laisse une expérience plus riche.
Je voudrais être l’ami, l’ancien que l’on écoute. Je suis trop jeune pour être paternel et vous parler le langage intraduisible des sentiments étrangers pour nous, d’une génération qui s’était forgé un idéal que les évènements qui nous précèdent, ont cruellement abattu.
La chute de cet idéal, c’est à Paul Valéry que je vais en devoir la brillante mais pessimiste peinture qu’il a faite en 1919.
Les faits pourtant sont clairs et impitoyables; il y a des milliers de jeunes écrivains et de jeunes artistes qui sont morts.
Il y a l’illusion perdue d’une culture européenne et la démonstration de l’impuissance de la connaissance à sauver quoique ce soit, il y a la science atteinte mortellement dans ses ambitions morales, et, comme déshonorée par la cruauté de ses applications ; il y a l’idéalisme difficilement vainqueur, profondément meurtri, responsables de ses rêves ; le réalisme déçu, battu, accablé de crimes et de fautes ; la convoitise et le renoncement également bafoués, les croyances confondues dans les camps, croix contre croix, croissant contre croissant ; il y a les sceptiques eux-mêmes désarçonnés  par des évènements si soudains, si violents, si émouvants, et qui jouent avec nos pensées comme le chat avec la souris; les sceptiques perdent leurs doutes, les retrouvent, les reperdent et ne savent plus se servir des mouvements de leur esprit.
« L’oscillation du navire a été si forte que les lampes les mieux suspendues se sont à la fin renversées.» (Paul Valéry, La crise de l’esprit).
De ce désordre, qui semble dans l’être même la négation de l’existence, j’ai connu la vision concrète.
Ceux d’entre vous qui naquirent dans les pays ravagés par la guerre ouvraient leurs yeux aux premières sensations sur un paysage de mort. Ce paysage ne portait pas pour eux le ferment de désespérance qu’enfant de dix ans j’ai ressenti.
Quelle sombre tristesse se dégageait de ces plaines ravagées et stériles, où les squelettes des arbres déchiquetés accrochaient à la terre retournée des entonnoirs, leurs racines mortes.
Je ne me rappelle qu’un champ que je vis pour la première fois le jour de Pâques 1920. C’est le champ des croix de bois de Lorette. J’y pleurais des prières de bonté sur les plus grands maux de la terre. D’autres générations ont vu naître, au spectacle des moissons, des vertes frondaisons, de l’activité paisible des hommes les sentiments généreux du bien et de l’amour.
Ma mère, le prêtre, les maîtres les ont fait naître en moi sans le soutien des choses.
Ma jeune sensibilité s’était exacerbée aux chocs des émotions fortes : l’évacuation ; l’éclatement des obus, les nuits dans les abris humides à la lueur faible d’une lumière qui se cache m’ont fait pleurer.
Une victoire chèrement acquise m’a transporté d’enthousiasme.
Mais les contradictions restaient. Je ne pouvais analyser le trouble de mon coeur. Les réactions les plus fortes correspondaient aux émotions les plus instables. Pas un sentiment qui pût s’établir paisiblement et me servir de guide.
Valért dit : « savoir, devoir, vous êtes donc suspects.» A cet âge, l’un et l’autre m’étaient dictés, mais devant ces croix de mort, mon coeur ravagé posait déjà par son trouble le point d’interrogation des problèmes de la vie sociale.
Pourtant la plupart des hommes ne se le posait pas. Il fallait vivre et ils vivaient, immédiatement.
Le besoin les pressait. Le résultat devait suivre sans attendre. On a vécu avec frénésie. Le paradoxal corolaire de la guerre a été une nouvelle dépense d’énergie. Ce n’était plus la destruction mais la production qui était l’objet de rivalités sans merci et l’apparente prospérité cachait des vices profonds. On a agit très vite sans réfléchir. On a substitué l’action à la réflexion et les esprits éclairés n’ont pu arrêter un mouvement plus fort qu’eux.
On substitua Utilisation à compréhension. La technique à la science créative.
Le vulgaire traduisait son opinion en disant : « à bas les spéculations théoriques » Time is money et le «business  est roi.
Faire une machine répondait mieux aux besoins du moment que connaître les principes de la mécanique. Il valait mieux faire des affaires que connaître les lois de l’économie politique.
L’homme fort, l’homme au ton tranchant et aux lunettes commerciales disait : « le latin, le grec pour mon fils à quoi cela lui servira-t-il dans la vie ? Qu’il apprenne ce qui lui permettra de gagner de l’argent.»
Dans toute période d’activité commerciale intense, où l’argent facile élève et détruit rapidement les fortunes et bouleverse les valeurs, que ce soit l’époque du système Law où celle de 1919 à 1923, les fins égoïstes et utilitaires dominent tout. Devant l’action disparaît l’esprit, et les prévisions lointaines et ses scrupules moraux. Jamais autant qu’à cette époque ne fut vraie la maxime : « la fin justifie les moyens. »
Ainsi naît la crise de moralité cachée, subtile, envahissante, elle s’insinue partout comme un poison rapide et foudroyant. Ceux même dont la facilité de vivre a été grosse de responsabilités, sentent avec angoisse grandir ce monstre, sans toutefois en prendre nettement conscience. Rien, il ne reste rien.
Ou plutôt tout est là. Tout dans un désordre extrême où je ne puis rien démêler et saisir. C’est une obscurité de gouffre où les évènements nous poussent à tâtons les mains étendues devant nous. Il nous faut une lumière qui nous guide.
Sera-t-elle l’esprit ?
Un esprit puissant affirme, désespéré, que l’esprit lui-même subit la crise qui détruit tout.
Pourtant il n’a jamais autant qu’aujourd’hui gouverné le monde.
« La science est la nouvelle idole.» La déesse raison possède le pouvoir suprême. On n’agit plus qu’en son nom.
Cela n’est que trop vrai ; mais agir en son nom ne veut pas dire qu’on la suive et bien des raisonnements banissent la raison. En effet, combien d’opinions contradictoires prennent la raison pour preuve de leur validité, oubliant que l’un de ses principes est d’écarter la contradiction ?
Combien de spéculations des plus accréditées on a faites au nom de la raison, que l’expérience a cruellement détruites, oubliant que si souvent elle devance l’expérience elle ne saurait s’opposer à elle ?
Je ne condamne pas la raison, je saurais aussi ridicule que les défenseurs d’Aristote s’opposant à Descartes.
Mais je condamne l’usage abusif qu’on en a fait.
Ceux qui suivaient aveuglément Aristote méconnaissaient leur maître. Ceux qui ont donné à n’importe qui l’usage de la raison sans savoir ce qu’ils en feraient, ont méconnu Descartes ; car ils ont laissé les hommes s’appuyer sur des principes considérés comme vrais sans qu’ils aient été reconnus comme tels.
Peut-être que le diagnostic de ce mal est établit chez Aristote qui fut à tort condamné sans retour.
« Il ne faut pas demander une égale précision dans tous les ordres de recherche, mais seulement dans la mesure où ils comportent la chose que l’on étudie. Aux choses indéterminées, la règle doit être indéterminée.» (Aristote, Ethique à Nicomague).
Depuis Aristote, la chose n’a pas changé, quoique la connaissance ait atteint un degré étonnant de généralisation et d’abstraction. Le nombre de ceux qui l’étudient s’accroît sans cesse; mais ce double fait a entraîné lui aussi des conséquences paradoxales.
Toutes les branches de la connaissance n’ont pas connu le même essor. Les mathématiques, les sciences physiques ont atteint un développement braucoup plus considérable que les sciences morales qui sont les sciences de l’homme et de la conduite humaine.
Les spéculations des premières ont pour objet la matière qui se soumet assez facilement aux conditions de l’expérience, parce qu’elle est soumise au déterminisme.
Les spéculations des secondes ont pour objet l’homme sur lequel on n’expérimente pas. L’homme animé, complexe, changeant et qui possède grâce à cela la liberté.
Pour expliquer une chose, dit Maxwell, il faut pouvoir en dresser un modèle mécanique. Si la raison connaissait l’homme comme la matière, elle le ferait rentrer dans le déterminisme universel et les mots liberté, volonté, responsabilité, n’auraient plus de sens.
Nous ne pouvons affirmer de l’homme que des probabilités mais réjouissons-nous, car cela est la sauvegarde du libre-arbitre.
Cest ici pourtant que dans la vie pratique apparaît le paradoxe : les moins éclairés qui renoncent facilement aux sciences mathématiques ou physiques raisonnent sans appel des sciences morales, en discutent sans le savoir, comme M. Jourain faisait de la prose, mais d’une façon moins inoffensive.
Il est peu de citoyens qui ne vous diront, au nom de la raison, que les opinions morales ou sociales qu’ils professent, sont les seules vraies, même si elles n’entraînent pas comme 2 et 2 font 4 le consentement universel.
Paul Valéry affirme : « On ne peut faire de politique sans se prononcer sur des questions que nul homme sensé ne peut dire qu’il connaisse. Il faut être infiniment sot et infiniment ignorant pour oser avoir un avis sur la plupart des problèmes que la politique pose.» Paul Valéry Regards sur le monde actuel.
Quand la raison ne nous donne pas la solution qu’exige l’action, nous obéissons à nos tendances, à nos passions, à nos sentiments.
L’individualisme naît, grandit, s’oppose à tout et produit l’égoïsme.  Dans une société de fait comme une nation, il n’y a plus d’action commune, les individus s’opposent les uns aux autres.
Certes, ils veulent une société bonne, solide et bien organisée, mais tendent à la détruire parcequ’ils veulent aussi développer à l’infini le moi personnel. C’est le conflit de l’être social et du moi que Hegel a appelé le « malheur de la conscience» et qui a fait jusqu’au début du siècle dernier de l’Allemagne cette poussière chaotique d’états et de petites collectivités.
C’est par le sacrifice du moi individuel à l’être social dans un certain sens seulement, qui je le crois est précisément le sens politique, que l’Allemagne a acquis cette puissance inquiétante où le nombre et la force d’une seule masse homogène.
Chez nous le conflit n’en existe pas moins quoique l’unité territoriale et administrative soit depuis longtemps réalisée.
Méfions-nous qu’il n’existe entre les individus des particularités, des oppositions d’action sociale qui, poussées à la limite, ne ressemblent fort à l’anarchie.
Dans ce désordre, la plus grande masse des citoyens entraîne les autres. Et des esprits très clairvoyants n’ont pu que renoncer.
Déjà en 1873 Jules Lachelier disait :
« Je suis bien d’avis qu’il faut toujours faire son devoir et monter la garde au besoin, mais je crois que le moment est venu pour tous ceux qui sont capables de penser de se tirer de cette cohue et de s’enfermer plus étroitement que jamais dans la double enceinte de la vie privée et de la philosophie.»
Mais avons-nous le droit de renoncer ?
A cette époque qui par bien des points ressemblait à la nôtre voici ce que disait Senèque :
« Ce n’est pas le temps de s’amuser à des jeux de dialectique, philosophe, ce sont des infirmes et des misérables qui te font appeler auprès-d’eux. Tu dois porter secours aux naufragés, aux captifs, aux indigents, aux malades, à ceux qui ont déjà la tête sous la hache : tu l’as promis … A tous les beaux discours que tu peux débiter, ces affligés en détresse ne répondent qu’une chose : Secours-nous.»
Je vous disais, tout à l’heure, il nous faut une lumière qui nous guide, et je dois reconnaître que l’esprit n’est pas assez puissant encore et que la raison, foyer unique d’une lumière éclatante et immuable, n’éclaire pas les recoins obscurs dans lesquels notre égoïsme agit souvent pour le malheur des hommes. Il nous faut des torches ardentes qui nous éclairent. Si la raison ne peut nous les fournir où les trouverons-nous ?
Nous les trouverons dans la discipline sociale. Du conflit entre le moi social et le moi individuel, qui forme le malheur de la conscience, c’est le moi social qui doit triompher.
Nous ne pouvons vivre sans la société. En nous analysant nous découvrons que, sur notre fond individuel, est venu se greffer un apport social que nous nous sommes intégré, qui fait profondément partie de nous-mêmes. Prendre conscience de ce moi social, le développer, le cultiver, c’est remplir l’essentiel de notre obligation envers la société. C’est faciliter et organiser notre conduite envers et pour nos semblables. L’obligation sociale n’est pas contraignante, c’est à dire pénible. En obligeant l’individu elle lui rend service. Elle est à la conduite humaine ce que l’habitude est aux mouvements.
Comme l’habitude de pédaler libère l’esprit du cycliste de fixer son attention sur ses jambes, l’obligation sociale libère l’esprit de l’individu sur sa conduite.
La société trace à l’homme le programme de son existence quotidienne : « Exercer sa profession, se distraire, vendre, acheter, s’habiller, remplir les « dehors civils que l’usage demande», accomplir les mille petits faits de la vie de tous les jours, c’est d’obéir à des prescriptions, à des obligations sociales.»
Ceci semble naturel. Toutes ces choses ne composent-elles pas l’essentiel de note vie ? Elles modifient notre tempérament plus que la nature ambiante. Nous subissons profondément l’action du climat social. Pourtant tout ceci est le fruit d’une éducation à laquelle s’oppose d’abord souvent la résistance de l’enfant indiscipliné.
Aussi faire prédominer le moi individuel sur le moi social, c’est se laisser aller, c’est renoncer à être un homme, avec tout le sens social que cela comporte, c’est négliger son devoir. Pour être un bon citoyen et un honnête homme, il faut se soumettre étroitement à la société.
Que nous soyons appelés à commander ou à obéir à nos semblables, nous devons connaître et respecter la discipline sociale.
Où trouverons-nous la règle pour la suivre et la respecter ? Dans notre coeur.
Là gisent des sentiments dont la conscience est malheureusement souvent endormie dans une habitude affective, mais que nous devons réveiller. Ce sont eux, ces lumières dont je vous parlais tout à l’heure et dont trop souvent, nous sentons avec force l’existence qu’au moment ou la flamme vacille. C’est la sympathie plus forte que j’éprouve pour certains hommes. Pour ceux qui sont plus semblables à moi parce qu’ils ont les mêmes moeurs, les mêmes idéaux, s’organisent d’une même politique, s’alimentent des mêmes produits de l’esprit, parlent la même langue.
Nous croyons ensemble à des mythes, nous accomplissons des rites, nous avons des conventions qui ne sont valables que pour nous et que la raison ne justifie pas, mais qui ont une réalité forte.
N’avez-vous pas senti en respirant au mois de juin dans la campagne de notre pays que cet air et ces parfums étaient les vôtres et qu’on ne respire pas aussi bien ailleurs ?
Ces hommes sont les Français. Cette terre c’est la France. Chantons avec le poète Henri de Régnier :
« Ton nom, France, est si doux, qu’il me semble à l’entendre,
Que l’air en est plus pur et le soleil plus beau.
Nos mères l’ont appris à leur fils au berceau,
Ce beau nom que nos fils aux leurs sauront apprendre.
Venus de la forêt, du mont ou du labour,
Leurs coeurs en un seul coeur battent d’un même amour.»
La règle que je vous conseille est indéterminée, acceptons la puisque nous avons dit avec Aristote : « Aux choses indéterminées, le règle doit être indéterminée.»
Et puisque la raison n’a pas la puissane de nous donner une société parfaite, universelle et immuable, Vivons et pensons en Français.

L'Impartial du 18 juillet.

Les résultats des brevets.
Nous sommes heureux de signaler le beau succès remporté par les élèves de notre École militaire préparatoire aux examens du brevet élémentaire et du brevet d’enseignement primaire supérieur.
Ont été reçus :
Brevet élémentaire : Baudel, Beuve, Briend R., Cazier, Chevrel, Compagnon, Dassonville, Deboudt, Delbassez, Denneval, Douger, Durot, Floch, Gaillard, Hervé, Hourdé, Laniesse, Laurent, Lebert, Lebris, Le Gall, Levier, Lozouet, Morvant, Poncet, Poulet, Quéméneur, Tanguy, Thébaut Y., Vaillant.
Brevet d’enseignement primaire supérieur : Baudel, Beuve, Briend R., Cazier, Chevrel, Colette, Dassonville, Delbassez, Denneval, Douger, Durot, Ferry, Flock, Gaillard, Hervé, Hourdé, Laniesse, Laurent, Lebert, Lebris, Le Gall, Levier, Lozouet, Malingre, Morvant, Poncet, Poulet, Quéméneur, Tanguy, Thébaut Y., Vaillant.
Soit 30 élèves définitivement admis au BE et 31 au BEPS sur 42 candidats officiellement présentés par l’École.
Nos félicitations aux maîtres et aux élèves pour ces magnifiques résultats.






Septembre

Une promotion.
Le sergent-chef Brionne vient d’être promu au grade d’adjudant.
Le sergent Deboville est nommé sergent-chef.

L'Impartial 29-9-34

Octobre

Résultats définitifs.
Ont été reçus aux examens de capacité de la session d’octobre, les élèves dont les noms suivent :
Brevet élémentaire : Babachon, Bénon, Cheminel, Cochard, Moreau, Potier, Thomas.
Brevet d’enseignement primaire supérieur : Barbachon, Deboudt, Reneleau, Thomas.
Total pour l’année scolaire 1933-1934:
Brevet élémentaire : 37,
Brevet d’EPS : 35.
A titre documentaire, nous rappelerons que, depuis le mois de juillet 1928, date à laquelle l’École militaire des Andelys a été autorisée à participer aux examens de l’enseignement primaire supérieur, le nombre total des lauréats s’élève à :
Brevet élémentaire : 168,
Brevet d’EPS .: 170.
Ajoutons enfin, que, parmi ces anciens élèves, nombreux ont été ceux qui ont pu suivre les cours de l’enseignement secondaire à Autun et que, dans la dernière liste d’admission à Saint-Cyr, notre École compte plusieurs de ses élèves classés dans les tout premiers.
Ces magnifiques résultats suffisent pour mettre en lumière la valeur de l’enseignement donné dans notre école primaire supérieure militaire.

L'Impartial du 6 octobre.

Novembre

Un élève blessé par un chasseur.
Un élève de l’École militaire est blessé par un chasseur au cours d’une promenade. L’élève voyant le chasseur s ‘apprêter à tirer « attention, cria-t-il, je suis là ! »
Mais le chasseur qui n’avait pas entendu, tira sur un lièvre dans la direction de l’enfant qui reçu des plombs dans la poitrine et à un bras. Le blessé a été conduit à Rouen.

L'Impartial du 3 novembre.

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