1930 (3) : La bataille de Mortemer en Lyons.

La bataille de Mortemer - en – Lyons (1054)


Trois faits historiques intéressent notre Vexin normand et la région Andelysienne, au début des Xe, XIIe et XIIIe siècles ; la bataille Mortemer en 1054, la bataille de Brémulle en 1119, et la prise du Château Gaillard, en 1203.
Une intéressante étude vient d’être publiée sur la bataille de Mortemer, par Monsieur le docteur Boucher. La rivalité de Guillaume Le Bâtard, dont la popularité croissante, inquiétait le roi de France, Henri Ier, l’incitât à marcher contre lui. Guillaume fit alors appel aux seigneurs Normands et aux milices communales.
Le Roi de France secondé par le Comte de Bourgogne, Eudes, accompagné de Guy de Ponthieu, de Raoul de Montdidier, s’avança sur la Normandie avec 40 000 hommes, se dirigeant sur Rouen. Ils passèrent l’Epte à Gournay, espérant par les vallons boisés de la forêt de Lyons surprendre leurs ennemis ; et c’est ainsi qu’ils parvinrent à Mortemer en Lyons, afin de gagner la grande voie romaine de Rotomagus à Lutécia. Les Chroniques de Normandie de Richard Macé indiquent du reste, cette marche venant de Beauvais et se dirigeant vers Mortemer sur Andelle près de Nojeon, sur le plateau dominant la Lieure et le Fouillebroc ; l’armée du Roi occupait la lisière de la forêt et une partie du plateau entre Lisors, Touffreville, Gaillardbois et Mesnil-Verclives.
Le Duc Guillaume venant d’Evreux menait un front immense de Mantes vers Rouen et même le Pays de Caux, renseigné sur le point où le Roi de France avait massé ses troupes.
A ce propos, l’histoire de Normandie de Masseville, nous apprends que «  les Normands les sacquementaient et abattaient dru comme mouches et sans merci, criant Dieu ayde et Notre Dame ; leur donnèrent un tel effroi qu’ils quittèrent leurs chevaux, abandonnèrent harnais et bagages pour échapper à la mêlée. De bien 40 000 hommes, n’échappa la quarte partie qui ne feussent morts ou prins ». La plus grande déconfiture faite à la poursuite  de ceux qui fuyaient fût prés d’Ecouis, en un endroit nommé Coupegueule, pour cette occasion ; le point se trouve à mi-chemin entre Lisors, Mesnil-Verclives et Ecouis. Le plus fort de la mêlée se déroula au début dans la vallée de la Lieure entre Mortemer, Lisors, Touffreville, Ménesqueville et vers Mesnil-Verclives.
La lutte commencée le matin, au point du jour se termina vers midi, nous dit Du Moulin.
Robert Wace, dans le « Roman de Rou » a rappelé les incidents de cette attaque.
Aussi le Duc Guillaume averti de cette victoire envoya Raoul de Toëni, porte-gonfalon de Normandie, porter la nouvelle au Roi de France, accompagné de quatre paysans qui se mirent à crier auprès du camp :

Réveillez vous ci vous levez
Français qui trop dormi avez,
Allez bientost voir vos amis,
Que les Normands ont à mort mis
Entre Ecouis et Mortemer,
Et là vous les convient inhumer.
Robert Wace, roman de Rou

A cette nouvelle , le Roi de France, Henri, fut « moult dolent » et bien que ce fut pendant la nuit, il fit immédiatement sonner la retraite à Mantes, donnant à peine le temps à ses soldats de prendre leurs armes et leurs bagages.
Nous ferons remarquer la déférence du Duc de Normandie envers le Roi de France, par réciprocité à un fait antérieur et qu’il renouvela plus tard.
Le frère du Roi, Eudes, parvint à se sauver, ainsi que le Comte de Bourgogne ; quant à Enguerrand et Guy de Ponthieu ils avaient été faits prisonniers ; on compta environ dix mille morts aussi Henri Ier demanda à traiter la paix.
Le Duc Guillaume lui réclama le château de Tillères-sur-Avre et le droit de poursuivre le Duc d’Anjou ; ne réclamant qu’une indemnité de nourriture pour les prisonniers qu’il conservait quelques temps, voulant par ce beau geste se concilier la chevalerie française et le clergé.
Il fut moins  généreux avec Guy de Ponthieu qu’il maintint prisonnier pendant deux ans, et qu’il ne libéra qu’avec la promesse qu’à l’avenir il marcherait avec lui.
A l’appui de l’identification du lieu de la bataille, on peut citer l’opinion du grand historien Mezeray qui a écrit au XVIIe siècle et qui situe à Mortemer en Lyons ; l’Histoire des Ducs de Normandie et des Rois d’Angleterre (pp. 61-62), situe le lieu de la bataille à Brémule – les - Mortemer, soit à quelques kilomètres de distance. Toutes ces précisions prouvent bien que la bataille a eu lieu  à Mortemer – en – Lyons (Rure) et non à Mortemer - en- Bray (Seine-Inférieure) ; quant à la date, Ordecir Vital, la fixe à huit ans après la batailles des Dunes (Calvados), qui eut lieu en 1047 soit vers 1055, date qui est confirmée dans la Chronique des Ducs de Normandie, où elle est fixée un an plus tôt, en 1054 et on ajoute que c’était au printemps et pendant un orage ; la bataille fut acharnée, elle dura six heures et d’homme à homme.
Outre les 10 000 morts, il y eut encore plus de blessés ; l’armée du Roi se trouva ainsi réduite de plus de moitié en quelques heures ; il faut songer qu’au début du XIe sièvle, l’armement était encore simple, c’était à peu près le même que celui qui fut en usage du Ve au XIIIe sièle ; il consistait en lance (framée), haches d’armes (francisques), très longs couteaux (scramasaxes), quelques épées, des arcs avec têtes de flèches en fer de formes variées ; on conçoit difficilement qu’en six heures de temps , et avec des armes aussi sommaires (si on les compare aux armes modernes) on ai pu mettre hors de combat près de 25 000 hommes sur 40 000 ; la bataille de Mortemer en Lyons, fut donc une des plus meurtrières de tout le Moyen Age et pour l’ Histoire de France.
Nous rappellerons que c’est dans la même région que soixante-cinq ans plus tard le Roi de France Louis VI, le Gros, fut battu à Brémulle, par Henri Ier Roi d’Angleterre. Les deux rois, à la tête de deux petites troupes de quatre à cinq cents hommes d’armes, combattirent comme de simples soldats ; le Roi Henri fut frappé d’un coup si rude que son casque fut faussé ; l’enseigne des Français fut prise, et le Roi Louis VI fut arrêté par un soldat anglais qui cria « le Roi est pris », mais aussitôt le Roi Louis lui fendait la tête de sa hache, en  lui répliquant « Va, coquin, t’en vanter dans l’autre monde, mais sache qu’aux échecs le Roi n’est jamais pris ». Cependant on a écrit aussi que Louis le Gros s’était sauvé à toute vitesse pour rentrer dans sa ville des Andelys, où il était arrivé, travesti en paysan, pour ne pas être inquiété en chemin. Les historiens ont mentionné pendant longtemps cette bataille sous le nom de Brenneville, et même dans les dictionnaires de Larousse ; on a rectifié plus récemment et rétabli la vraie localité Brémulle, entre Ecouis et Gaillardbois.
Enfin, le 14 octonre 1870, Brémulle fut le théâtre d’un fait d’armes moins important, mais non moins glorieux ; onze hussards français qui avaient pu traverser l’armée allemande à Sedan furent cernés près de Brémulle par une centaine de hulands allemands et leur tinrent tête ; le lieutenant Beuve, qui les commandait, percé de coups de lance eut la présence d’esprit et le courage de contenir sa douleur et simuler la mort qu’il évitat ainsi ; un modeste monument en perpétue le souvenir.
C’est encore dans cette même direction de la forêt de Lyons que des éclaireurs allemands, qui  se dirigeaient pour entraver la formation de la ligne de défense de la Somme, en 1914, et faire sauter le pont de Oissel, furent repérés dans la forêt, près de Gournay, assaillis et faits prisonniers à Fréneuse, près de Pont de l’Arche, grâce aux ordres transmis télégraphiquement et qui furent communiqués à tous les postes du département de l’Eure et du factionnaire qui tua le chauffeur de la première camionnette transportant les officiers avec tous les explosifs.
Espérons que pendant de très longues années notre pays sera à l’abri de nouvelles invasions.

                                                                                                             L. COUTIL

L'Impartial du 26 avril 1930






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