Novembre
Cérémonie à
l'occasion du centenaire de la naissance de Jean Richepin.
En
1926 Jean Richepin mourait rue de La Tour, villa Guibert. Pour honorer la
mémoire du poète une plaque a été apposée sur la maison qu'il habita longtemps.
De nombreuses personnes assistaient à cette inauguration où, après des
allocutions du maire du XVIème arrondissement et du préfet de la Seine, M.
Edouard Herriot adressa un hommage amical à l'auteur du Chemineau. Une
autre brève cérémonie eut lieu ensuite rue Emile-Augier qui portera désormais
le nom de Jean Richepin.
Le
23 novembre dernier eut lieu une cérémonie à la mémoire de Jean Richepin. Son
nom fut donné à une rue de la capitale. Dans la salle des fêtes du Lycée Janson
de Sailly furent évoqués des souvenirs de la vie de Jean Richepin. Des orateurs
qualifiés retracèrent devant la famille de Jean Richepin, des membres de
l'Académie française, et devant ceux qui représentent à Paris les lettres et la
poésie, l'æuvre littéraire de Jean Richepin, poète, auteur dramatique et membre
de l'Académie française. Auparavant, dans la rue de La Tour, une plaque apposée
sur la maison où il mourut, était découverte. C'est à cette partie de cette
cérémonie, présidée par M. Edouard Herriot, membre de l'Académie française, en
présence du ministre de l'Education nationale, d'hommes de lettres, du préfet
de la Seine, du maire du 16e arrondissement, d'une foule de plusieurs centaines
de personnes, parmi lesquelles de nombreux A.E.T., que notre Président général
prononça l'allocution suivante. Une délégations d'élèves de notre Orphelinat
militaire Hériot, de l'École des Andelys et du Prytanée entourait la tribune.
“Monsieur
le Président,
Monsieur
le Ministre,
Mesdames
Messieurs,
Mes
chers petits amis,
A
cette cérémonie consacrée à la mémoire de Jean Richepin, poète, auteur
dramatique, membre de l'Académie française, il peut sembler étrange de voir le
président de la Société des enfants de troupe prendre la parole.
C'est
que Jean Richepin fut enfant de troupe. S'il ne poursuivit pas la carrière
militaire, comme la plupart d'entre nous, il n'en resta pas moins enfant de
troupe, par le cœur, jusqu'à sa mort.
C'est
là un Jean Richepin inconnu du grand public.
Les
enfants de troupe de son temps vivaient la vie des régiments où ils étaient
incorporés. C'était déjà sous la 1ère République, où, trop faibles pour porter
les armes, les enfants de troupe étaient tambours : ils battaient la charge,
entraînant les soldats à l'assaut et souvent à la victoire, comme Bara, Viala,
encore des enfants qui, grièvement blessés, battaient toujours du tambour
jusqu'à leur dernier souffle.
Jean
Richepin fut, lui aussi, tambour de son régiment, le 86ème de ligne.
Ces
enfants étaient endurcis dès leur jeune âge par la vie de la troupe ; ils
devenaient des êtres robustes, à la pensée sans cesse tournée vers de nouveaux
horizons, aimant le risque, assoiffés de gloire.
Jean
Richepin rompit avec la tutelle militaire. Il entra à l'École normale
supérieure, mais renonça à la carrière professorale. Attiré par les lettres, la
poésie, son horizon à lui, il s'y consacra ; il atteignit au succès, puis à la
gloire et, enfin, à l'immortalité.
Mais
de son passage dans nos rangs, il a gardé le cœur chaud, l'émotion vive, le patriotisme
intransigeant de l'enfant de troupe.
Si
on avait à Paris, comme dans une grande ville, l'habitude de souligner par
quelques références le nom donné à une rue de la capitale, Jean Richepin,
consulté, aurait dit enfant de troupe, poète, membre de l'Académie
française. Telle est, en effet, la hiérarchie de son ascension.
Il
assistait de temps à autre à nos réunions, car il aimait ses jeunes camarades
qui se groupaient autour de lui.
En
décembre 1913, quelques mois avant la Première guerre mondiale, il présida
notre assemblée générale avec le général Gallieni.
Devant
ce grand soldat, ce grand administrateur, il nous donna de la Patrie une image
sublime.
Nous
l'écoutions, attentifs, suivant l'élévation de sa pensée qui nous transportait
à des hauteurs dont on aurait pas voulu descendre.
En
même temps qu'il campait ainsi la Patrie dans nos cœurs, il nous donna ses
conseils
pour
la servir de toutes nos forces, de toute notre âme.
Je
dois à son souvenir de dire que ces conseils ont été suivis :
Cinquante
pour cent de nos effectifs laissés sur le champ de bataille de la Première
guerre mondiale.
Les
drapeaux de nos écoles décorés de la Croix de guerre 1914-1918, de la Croix de
la Légion d'honneur, de la Croix de guerre 1939-1945; enfin deux de nos
drapeaux portant, en outre, la médaille de la Résistance avec rosette,
attestent les mérites des enfants de troupe des générations contemporaines.
Jean
Richepin qui se penchait surtout sur les petits jeunes, sur les enfants, aurait
été fier, comme nous le sommes nous-mêmes, des exploits des ces jeunes enfants
de troupe qui, parfois sous un nom d'emprunt, se sont révélés les dignes
héritiers de la Ière République.
Quels
accents son cœur aurait trouvés pour célébrer, comme il convient, les jeunes
Mercier, Gangloff, nos Bara d'aujourd'hui qui, tombés aux mains de l'ennemi
dans les combats de la Résistance, et pour ne pas être exposés à parler sous la
souffrance de la torture, se donnèrent la mort, le premier par un coup de
revolver dans l'oreille, l'autre, déjà désarmé, se perça le cœur à diverses
reprises avec un canif de poche.
Et
celui-ci, quel poème aurait tiré Jean Richepin de la lettre que je vais lire.
Il
s'agit d'un enfant encore. Il était élève de l'École militaire de Tulle. Il a
été pris, se livrant à des destructions sur les lignes de communications
ennemies.
IL
a écrit ce qui suit, à la prison de Loos, deux heures avant d'être fusillé :
Ma chère maman, Tous mes chers parents,
A l'heure où vous recevrez cette lettre, je ne
souffrirai déjà plus. Un officier allemand est venu nous annoncer que le
jugement était confirmé.
Quand j'ai décidé à l'âge de treize ans de m'engager
dans les enfants de troupe, déjà je me sentais l'âme d'un soldat. J'ai toujours
décidé de mourir de cette façon. Aujourd'hui, je suis à deux doigts de la mort
et je n'ai même pas peur. J'accepte la volonté de Dieu avec courage. Dans deux
heures environ j'aurai rejoint le royaume de Dieu. J'y retrouverai mon cher
papa. Ma chère maman, je vois d'ici ta peine énorme, que veux-tu c'est la
volonté de Dieu. Tu as déjà bien souffert dans la vie et après avoir vu ton
mari tué à la guerre, c'est ton fils qui s'en va, moins glorieusement
peut-être, mais enfin …
N'oublie pas que tu as encore Roger et Gisèle à
élever, à éduquer.
Peut-être un jour le Bon Dieu te recompensera. Fais
part de la nouvelle à tous mes amis, toutes mes connaissances. Dis à tous, que
dans ce que j'ai fait, j'ai cru reconnaître là mon devoir, que je meurs avec la
satisfaction du devoir accompli. J'admets que je trouve la sentence un peu dure,
mais ce sont là les lois de la guerre. Il n'y a qu'à s'incliner.
Ma chère maman, surtout ne me plains pas, pense que je
meure d'une mort qui m'est douce.
Tous mes chers parents, je pense à vous dans mes
derniers moments.
Bons baisers à tous. Adieu.
Ma chère maman, cher frère, chère sœur, je vous
embrasse de tout mon cœur. Adieu.
Votre fils qui meurt avec la satisfaction du devoir
accompli.
Martrice.
Ils
sont morts avec la satisfaction du devoir accompli, ce devoir que nous avait
tracé Jean Richepin, à la veille de la grande tourmente.
Cette
notion de servir qu'il lui avait donnée et qui est retenue, servir : oui, mais
pas du bout de lèvres, jusqu'au bout, jusqu'au sacrifice suprême comme le
voulait Jean Richepin, comme l'ont fait hier les anciens, les baroudeurs de l'Empire, au cours de l'Épopée coloniale,
honneur de la Troisième République, au cours des grandes guerres où le sort du
Pays est en jeu, comme le font aujourd'hui tous les nôtres ; ils y sont tous
appelés, en Extrème-Orient, où depuis cinq ans ils combattent, beaucoup
succombent avec sur les lèvres le sourire de leur jeunesse, projetant sur nos
drapeaux le reflet de leur gloire.
Le
souvenir de Jean Richepin est entretenu chez nous, chez les anciens comme chez
les jeunes qui se préparent à prendre le flambeau. Jean Richepin reste présent
à notre mémoire, lui, comme ceux qui nous ont précédés, nous léguant leurs
traditions d'honneur et de devoir.
Il
y a plus, Jean Richepin a tenu, pour ainsi dire, notre Association, vieille de
40 ans, sur les fonds baptismaux.
Il
lui a insufflé son dynamisme, si bien, qu'aujourd'hui, notre Association étend
les rameaux de ses sections sur toute l'étendue de l'Union française, partout
où flottent nos couleurs.
Pour
cela, Jean Richepin nous laisse une leçon.
Puisqu'il
nous est possible d'associer dans un même élan, les enfants de troupe de toutes
nos races qui servent d'un même cœur le même drapeau, ne pourrions-nous pas, à
une échelle plus grande, nous unir dans un même sentiment de ferveur, et,
foulant du pied les intérêts qui divisent, les passions qui aveuglent, nous
engager d'un même pas sur la route de l'avenir, pour rendre à la France, notre
Patrie, sa figure radieuse ?
Aussi,
aujourd'hui, devant les délégations des enfants de notre orphelinat militaire,
futurs enfants de troupe, au nom des élèves et anciens élèves de nos écoles
militaires préparatoires de la métropole, de Saint-Louis-du-Sénégal, de
Fort-Lamy, de Madagascar, du Cap-Saint-Jacques, de Dalat en Extrème-Orient, de
Miliana, au nom de cette phalange, véritable arc-en-ciel de l'Union française,
où l'armée puise des chefs, des cadres, j'adresse à l'enfant de troupe Jean
Richepin, l'hommage que nous lui devons pour l'action bienfaisante qu'il a
exercée sur nous et pour la leçon qu'il nous laisse”.
Au
cours de cett allocution, la lecture de la lettre de Matrice atteignit la
sensibilité de l'auditoire. Il ne cachait pas son émotion, interrompant par de
vifs applaudissements renouvelés à la péroraison.
Monsieur
Édouard Herriot, serrant la main de notre Président général, à sa descente de
la tribune, lui dit : Moi aussi, je suis Le ancien enfant de troupe, du
93ème de ligne.
Monsieur Édouard Herriot clôtura les discours.
Il
rappela l'œuvre littéraire de Jean Richepin, aidé de sa puissante érudition, de
sa richesse d'élocution, citant de Jean Richepin des souvenirs inédits, et
terminant, prenant comme thème le discours de notre Président général,
magnifiant les enfants de troupe, ces modèles de soldats généreux, ces héros,
les Bara d'aujourd'hui qui se sont couverts de gloire dans les combats de la
Résistance, citant des faits, nos écoles : Autun, Tulle, la belle conduite de
tous, de ceux qui servent en Extrème-Orient et montrant les jeunes enfants de
la Boissière, les délégations des élèves des Andelys, du Prytanée, disant que
le Pays pouvait
compter sur le dévouement que ceux qui n'avaient qu'à suivre la trace de leurs
aînés pour montrer leur valeur.
Puis embrassant un des enfants de notre
orphelinat, il lui fit découvrir, à son commandement, la plaque apposée sur la
villa Guibert, rue de La Tour, où mourut Jean Richepin.
Reprise d'un texte paru
dans le Journal des AET de 1949 /1950.
Le Président général
était le général Stehlé.
Roland Gohier, élève des
Andelys, 3ème M1, “major” de l'EMP était présent.
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